Seven & I : Un PDG Étranger Face à une OPA de 47 Mds
Imaginez-vous à la tête d’une entreprise emblématique, confronté à une offre de rachat colossal de 47 milliards de dollars. C’est le défi que relève Seven & I Holdings, le géant japonais derrière les célèbres magasins 7-Eleven. Face à une OPA audacieuse venue du Canada, l’entreprise joue une carte inattendue : nommer un PDG étranger pour la première fois de son histoire. Une décision qui intrigue autant qu’elle fascine.
Une Nomination Historique pour une Bataille Stratégique
Le 6 mars 2025, Seven & I Holdings a surpris le monde des affaires en annonçant la nomination de Stephen Dacus comme nouveau PDG, effective dès le 27 mai. Ce vétéran américain du retail, avec une expérience chez Seiyu Holdings, Fast Retailing et Food & Life Companies, incarne un tournant radical pour une entreprise japonaise souvent perçue comme conservatrice. Mais pourquoi ce choix maintenant ? La réponse réside dans une lutte acharnée pour préserver l’indépendance face à une proposition alléchante d’Alimentation Couche-Tard.
Un Contexte de Pression Intense
Tout commence en août 2024, lorsque le géant canadien Alimentation Couche-Tard, connu pour ses enseignes Circle-K, dépose une offre initiale de 38,5 milliards de dollars pour s’emparer de Seven & I. Rejetée comme sous-évaluant la firme, cette proposition est rapidement relevée à 47 milliards. Si elle aboutit, cette opération deviendrait la plus grande acquisition étrangère d’une entreprise japonaise, un symbole fort dans un pays où les OPA hostiles restent rares.
Mais Seven & I ne se laisse pas faire. Entre une contre-offensive avortée de la famille fondatrice Ito, qui n’a pas réussi à réunir les 58 milliards nécessaires, et les critiques persistantes des investisseurs sur sa gestion, l’entreprise joue son va-tout avec cette nomination stratégique.
Stephen Dacus : L’Homme de la Situation ?
Stephen Dacus n’est pas un inconnu dans le monde du commerce. Administrateur externe depuis 2022, il a déjà dirigé le comité spécial chargé d’évaluer les offres de rachat. Sa connaissance du terrain est un atout : il parle japonais couramment et a grandi dans l’univers des 7-Eleven, son père ayant été franchisé. Lors de sa première conférence de presse à Tokyo, il a insisté sur les défis réglementaires posés par l’offre de Couche-Tard.
"Nos actionnaires ne veulent pas d’une incertitude de deux ans pour voir cette fusion bloquée par les régulateurs américains."
– Stephen Dacus, nouveau PDG de Seven & I
Son discours bilingue, mêlant pragmatisme et vision, a marqué les esprits. Mais au-delà des mots, c’est une stratégie ambitieuse qu’il devra déployer pour convaincre.
Une Restructuration pour Gagner du Terrain
La nomination de Dacus s’accompagne d’un plan de restructuration audacieux. Seven & I mise sur une refonte complète pour renforcer sa valeur et dissuader les prédateurs. Voici les grandes lignes :
- Vente de l’unité supermarchés à Bain Capital pour 5,10 milliards d’euros.
- Réduction de la participation dans Seven Bank sous les 40 %.
- Rachat d’actions à hauteur de 2 000 milliards de yens d’ici 2030.
- Introduction en Bourse de sa filiale nord-américaine prévue pour mi-2026.
Ces mesures visent à recentrer l’entreprise sur son cœur de métier : les magasins de proximité 7-Eleven, qui représentent plus de 80 000 points de vente dans 20 pays. Un pari risqué mais calculé.
Les Défis d’une OPA Transfrontalière
Si Alimentation Couche-Tard parvient à ses fins, cette acquisition redessinerait le paysage mondial du retail. Mais les obstacles sont nombreux. En tête : les régulations antitrust aux États-Unis, où les deux entreprises dominent le marché des convenience stores. Seven & I détient 14,5 % des parts, Couche-Tard 4,6 %. Une fusion exigerait des cessions massives, un processus long et incertain.
De plus, le Japon classe Seven & I comme une entreprise core pour sa sécurité nationale depuis septembre 2024. Bien que le ministère des Finances ait assuré ne pas bloquer une OPA, ce statut ajoute une couche de complexité politique.
Une Nouvelle Vision pour 7-Eleven
Dacus ne se contente pas de défendre : il attaque. Il promet de capitaliser sur les forces de 7-Eleven, notamment son expertise dans les produits frais au Japon, pour conquérir le marché américain. "Si nous apportons cette qualité aux États-Unis, ce sera une source de croissance durable", a-t-il déclaré. Un objectif ambitieux alors que les marges à l’international plafonnent à 3,5 %, contre 27 % au Japon.
Cette stratégie s’inscrit dans un plan dévoilé en octobre 2024 par son prédécesseur, Ryuichi Isaka, visant à doubler les ventes à 30 trillions de yens d’ici 2030. Mais avec Dacus aux commandes, l’accent pourrait se déplacer vers une expansion plus audacieuse.
Les Investisseurs au Cœur du Jeu
Seven & I n’a pas toujours eu les faveurs des investisseurs. Depuis des années, des fonds comme ValueAct Capital ou Artisan Partners critiquent sa gestion, pointant du doigt une acquisition coûteuse de Speedway en 2020 pour 21 milliards de dollars. "Ils ont plongé dans le marché global sans fondations solides", déplore l’analyste Akihito Nakai.
Le rachat d’actions et la vente d’actifs non stratégiques sont des signaux clairs pour apaiser ces critiques. Mais suffiront-ils à convaincre face à une offre aussi lucrative ?
Un Tournant pour le Retail Mondial
Cette saga dépasse les frontières de Seven & I. Elle illustre les tensions croissantes dans le secteur du commerce de détail, où la consolidation devient une arme pour survivre. Si Couche-Tard échoue, d’autres prétendants pourraient émerger. Si Seven & I triomphe, elle pourrait redéfinir les règles du jeu pour les entreprises japonaises face aux ambitions étrangères.
Pour l’instant, Stephen Dacus tient la barre, un étranger dans un rôle inédit. Saura-t-il transformer cette crise en opportunité ? L’histoire est loin d’être écrite.