
Stratégie Hydrogène France : Un Pari Inachevé
Imaginez un avenir où l’hydrogène décarboné alimente nos usines, nos transports, et même nos foyers. En France, ce rêve semblait à portée de main avec la stratégie hydrogène de 2020, portée par une ambition de 9 milliards d’euros. Pourtant, cinq ans plus tard, la révision de cette stratégie, dévoilée en avril 2025, laisse un goût d’inachevé. Pourquoi ? Parce que, malgré des investissements massifs, le gouvernement persiste à ignorer un maillon essentiel : la demande. Plongeons dans les coulisses de cette politique industrielle pour comprendre ce qui bloque la révolution hydrogène.
Un Pari Ambitieux, mais Déséquilibré
La stratégie nationale hydrogène décarboné 2025 (SNH2) s’inscrit dans la continuité de son aînée. Avec une enveloppe de 9 milliards d’euros, elle vise à positionner la France comme un leader de l’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables ou nucléaires. Mais un constat saute aux yeux : ces fonds sont quasi exclusivement dédiés à l’offre – production et équipements – tandis que le soutien à la demande reste marginal. Ce déséquilibre fragilise l’écosystème et freine l’innovation.
Une Production en Sursis
La SNH2 mise gros sur les électrolyseurs, ces machines capables de produire de l’hydrogène à partir d’eau et d’électricité. L’objectif initial de 6,5 GW de capacité installée d’ici 2030 a été revu à la baisse, passant à 4,5 GW, et celui de 2035 à 8 GW, sous conditions. Cette révision reflète un réalisme face aux délais de développement technologique, mais elle envoie un signal inquiétant aux industriels. Réduire les ambitions, c’est aussi réduire le marché potentiel pour les acteurs comme John Cockerill ou Genvia, qui peinent à industrialiser leurs solutions.
Le passage à l’échelle des électrolyseurs demande du temps, mais sans marché, les investissements s’essoufflent.
– Un ingénieur de Genvia, spécialisé dans les technologies haute température
Des projets emblématiques, comme la gigafactory d’Elogen à Vendôme, ont été abandonnés en février 2025. McPhy, autre acteur clé, a été mis en vente mi-avril, faute de fonds pour sa propre usine près de Belfort. Ces échecs illustrent une vérité cruelle : sans débouchés concrets, produire de l’hydrogène devient un pari risqué.
La Demande, Parent Pauvre de la Stratégie
Si produire de l’hydrogène est essentiel, encore faut-il qu’il soit utilisé. Or, la SNH2 néglige cet aspect crucial. L’appel à projets de l’Ademe, qui avait soutenu 49 écosystèmes territoriaux pour déployer des bus, bennes ou utilitaires à hydrogène, ne sera pas renouvelé. Pourquoi ? Le coût de production locale, estimé à 10 euros par kilo, est jugé trop élevé. Résultat : des acteurs comme Safra, fabricant de bus hydrogène, se retrouvent en redressement judiciaire, et Hyvia, coentreprise de Renault et Plug, a été liquidée en février 2025.
Le gouvernement mise désormais sur trois hubs industriels – Fos-sur-Mer, la Vallée de la Chimie et l’axe Le Havre-Seine – pour concentrer la production et répondre à la demande industrielle. Des projets comme celui de Lhyfe chez Yara ou d’Engie à la bioraffinerie TotalEnergies de La Mède émergent, mais ils restent timides. Sans un soutien clair à la demande, ces initiatives risquent de stagner.
La Mobilité Hydrogène : Un Rêve en Suspens
L’hydrogène est souvent présenté comme une solution d’avenir pour la mobilité lourde – camions, bus, trains – où les batteries atteignent leurs limites. Pourtant, les industriels du secteur font face à une concurrence féroce. Les usines de piles à combustible, membranes et réservoirs, portées par des acteurs comme Arkema ou Symbio, voient leur marché menacé par les avancées des batteries. Un appel à projets pour soutenir l’achat de véhicules hydrogène légers est prévu en avril 2025, mais sans enveloppe budgétaire claire, son impact reste incertain.
Pour comprendre l’ampleur du défi, voici les principaux freins à l’adoption de la mobilité hydrogène :
- Coût élevé de l’hydrogène produit localement, rendant les véhicules moins compétitifs.
- Manque d’infrastructures de ravitaillement, décourageant les opérateurs de transport.
- Absence de subventions massives pour l’achat de véhicules, contrairement aux modèles électriques.
Un Cadre Européen, mais Flou
Le gouvernement compte sur les réglementations européennes, comme ReFuelEU, pour stimuler la demande dans les transports aériens et maritimes. Côté industrie, les objectifs de décarbonation devraient encourager l’utilisation d’hydrogène. Mais ces cadres restent flous. Par exemple, la taxe TIRUET, qui intègre désormais l’hydrogène, doit être révisée pour valoriser les réductions d’émissions. Sans calendrier précis ni incitations fiscales claires, les industriels hésitent à investir.
Un flou réglementaire, c’est un frein à l’investissement. Les entreprises ont besoin de visibilité.
– Un dirigeant de l’industrie chimique, utilisateur potentiel d’hydrogène
Ce manque de clarté contraste avec des pays comme l’Allemagne, où des subventions directes soutiennent l’achat de véhicules hydrogène et le déploiement de stations de ravitaillement. La France, elle, semble attendre que l’Europe trace la voie.
Les Leçons des Échecs
Les déboires d’Hyvia, Safra, Elogen ou McPhy ne sont pas des accidents isolés. Ils révèlent un problème systémique : une stratégie qui privilégie l’offre au détriment de la demande. Pour réussir, la France doit :
- Subventionner l’achat de véhicules hydrogène pour stimuler la demande.
- Investir dans un réseau national de stations de ravitaillement.
- Clarifier les cadres réglementaires et fiscaux pour donner confiance aux industriels.
Ces mesures demandent du courage politique et des arbitrages financiers. Mais elles sont indispensables pour transformer l’hydrogène en moteur de la transition énergétique.
Et Maintenant ?
La révision de la SNH2 est une occasion manquée, mais tout n’est pas perdu. Des acteurs comme Lhyfe ou John Cockerill continuent d’innover, et les hubs industriels pourraient devenir des modèles d’intégration. Cependant, sans un virage rapide vers le soutien à la demande, la France risque de perdre sa place dans la course mondiale à l’hydrogène. Les 9 milliards d’euros investis ne suffiront pas si le marché ne suit pas.
Pour résumer, la stratégie hydrogène française souffre de trois lacunes majeures :
- Une focalisation excessive sur la production, au détriment des usages.
- Un manque de subventions pour stimuler la demande, notamment dans la mobilité.
- Un cadre réglementaire flou, qui freine les investissements.
L’hydrogène décarboné reste une promesse d’avenir. Mais pour qu’elle se concrétise, la France doit équilibrer son approche. Soutenir la demande, c’est donner une chance aux innovateurs, aux industriels, et à la transition énergétique. La balle est dans le camp du gouvernement. Agira-t-il avant qu’il ne soit trop tard ?