
Stratégies Gagnantes pour les SMR
Imaginez un monde où l'énergie nucléaire, compacte et accessible, alimente nos villes sans émettre de CO2. Ce futur, porté par les petits réacteurs modulaires (SMR), est déjà en construction. Mais dans cette course mondiale à l'innovation, ce n'est pas seulement la technologie qui compte : c'est la stratégie industrielle. Comment les acteurs du secteur, des géants comme EDF aux start-ups audacieuses comme Newcleo, se positionnent-ils pour dominer ce marché en pleine ébullition ?
Les SMR, une révolution en marche
Les SMR, ou Small Modular Reactors, promettent de transformer le paysage énergétique mondial. Plus petits, plus flexibles et potentiellement moins coûteux que les réacteurs traditionnels, ils séduient gouvernements et industriels. Mais leur succès repose sur un défi majeur : la production en série. Pour être compétitifs, ces réacteurs doivent être fabriqués à grande échelle, avec une chaîne logistique optimisée et des coûts maîtrisés. Quatre stratégies industrielles émergent pour relever ce défi.
Capitaliser sur une supply chain existante
Certains acteurs, comme EDF ou Westinghouse, partent avec un avantage de taille : des infrastructures industrielles déjà en place. EDF, par exemple, s'appuie sur sa filiale Framatome pour produire les composants de son SMR Nuward. Cette approche permet de réduire les coûts et d'accélérer la mise en marché.
« La course sera gagnée par ceux qui maîtrisent une supply chain robuste. »
– Rita Baranwal, responsable des ventes de l’AP300 chez Westinghouse
Westinghouse, de son côté, mise sur une stratégie d'approvisionnement local. Pour son réacteur AP300, l’entreprise vise 50 à 60 % de composants locaux, notamment pour ses projets en Pologne. Cette approche réduit les risques logistiques tout en renforçant l’acceptation locale des projets.
En s’appuyant sur des usines existantes, ces géants optimisent leurs processus. Framatome, par exemple, investit 2,6 milliards d’euros d’ici 2028 pour moderniser ses sites et produire des composants pour une capacité annuelle de 3,5 GWe. Cette stratégie garantit une production stable, mais elle demande une coordination sans faille.
Construire des usines dédiées
Pour d’autres acteurs, la solution passe par la création de nouvelles usines. Le britannique Rolls-Royce, par exemple, planifie une usine dédiée pour assembler ses SMR de 470 MWe. En attendant, des prototypes sont développés à l’université de Sheffield, un choix stratégique pour tester les concepts avant un déploiement à grande échelle.
En France, la start-up Jimmy a pris une longueur d’avance. En février 2024, elle a acquis un terrain au Creusot pour construire trois usines : une pour l’assemblage des réacteurs, une pour le montage du combustible, et une future usine pour sa production. Cet investissement de 100 millions d’euros montre l’ambition de la jeune pousse.
De son côté, Newcleo, start-up franco-italo-britannique, investit 1,7 milliard d’euros dans une usine de combustible MOX à Pont-sur-Seine, dans l’Aube. Un centre de R&D à Chusclan complète ce dispositif, préparant le terrain pour des réacteurs à neutrons rapides refroidis au plomb.
Ces projets montrent que construire ses propres infrastructures est un pari audacieux mais risqué. Les coûts initiaux sont élevés, mais ils offrent un contrôle total sur la production et la qualité.
Sécuriser les fournisseurs critiques
Même avec des usines, les SMR nécessitent des composants spécifiques : cuves, turbines, combustible. Sécuriser ces fournisseurs critiques est donc essentiel. Rolls-Royce, par exemple, a signé dès 2021 un contrat avec Sheffield Forgemasters pour des pièces forgées, suivi d’accords avec Siemens Energy pour les turbines et Westinghouse pour le combustible.
La start-up française Calogena, qui développe une chaudière nucléaire pour le chauffage urbain, a déjà sécurisé des partenariats. L’italien Nine Engineering fournira les parties neutroniques, tandis que Framatome livrera le combustible. Orano, quant à lui, pourrait gérer le transport et le traitement du combustible usé.
« Nos équipements, non soumis à haute pression, ne nécessitent pas toujours des fournisseurs nucléaires. »
– Raphaël Gorgé, dirigeant de Calogena
Outre-Atlantique, X-energy bénéficie d’un investissement de 500 millions de dollars d’Amazon pour son usine de combustible Triso. De son côté, TerraPower collabore avec Framatome pour son combustible et a signé avec Ensa, Doosan Enerbility et HD Hyundai pour des composants clés. Ces partenariats stratégiques réduisent les risques et accélèrent les délais.
Pour structurer ces collaborations, certains acteurs, comme Orano, créent des groupes de travail. Avec Newcleo, Otrera et Hexana, un groupe planche sur le combustible MOX, tandis qu’un autre, avec Naarea et Thorizon, explore les besoins pour les réacteurs à sels fondus.
Trouver un premier client
Le dernier défi, et non des moindres, est de trouver un client prêt à investir dans un premier SMR. Ce "premier de série" est crucial pour valider le concept et attirer d’autres acheteurs. En France, Jimmy a déposé une demande pour installer un réacteur à Bazancourt, visant à décarboner une distillerie. Calogena, soutenue par l’État, prévoit un démonstrateur à Cadarache pour alimenter un réseau de chaleur.
Newcleo, plus prudent, commence avec un réacteur de 30 MWe à Chinon, potentiellement pour un datacenter. Rolls-Royce, lui, a sécurisé un contrat pour trois SMR au Royaume-Uni, un signal fort pour le marché.
Aux États-Unis, Kairos Power construit un réacteur expérimental à Oak Ridge, tandis que GE Hitachi a obtenu l’autorisation pour quatre BWRX-300 à Darlington, au Canada. X-energy, de son côté, a signé avec le ministère de la Défense américain pour un prototype mobile.
Ces projets pilotes sont des vitrines technologiques. Mais ils doivent encore obtenir les autorisations des autorités de sûreté, un obstacle majeur dans cette course.
Les défis à venir
Si les stratégies industrielles sont bien définies, plusieurs défis subsistent. La certification des designs par les autorités de sûreté reste un frein. À ce jour, seul GE Hitachi a obtenu un feu vert pour son BWRX-300 au Canada. Les autres acteurs, comme EDF avec Nuward, doivent encore prouver la fiabilité de leurs technologies.
Le financement est un autre enjeu. Construire des usines ou sécuriser des fournisseurs demande des investissements colossaux, souvent soutenus par des fonds publics ou privés, comme l’a fait Amazon avec X-energy. Enfin, la communication joue un rôle clé : les annonces spectaculaires servent à attirer investisseurs et clients, mais elles doivent être suivies de résultats concrets.
Pour mieux comprendre les approches, voici un résumé des stratégies :
- Capitaliser sur une supply chain existante : EDF et Westinghouse optimisent leurs infrastructures.
- Construire des usines dédiées : Rolls-Royce, Jimmy et Newcleo investissent dans leurs propres sites.
- Sécuriser les fournisseurs critiques : partenariats stratégiques pour les composants clés.
- Trouver un premier client : démonstrateurs pour valider les concepts.
Quel avenir pour les SMR ?
Les SMR représentent une opportunité unique pour décarboner l’énergie tout en répondant à des besoins locaux. Leur flexibilité, leur taille réduite et leur potentiel de production en série en font une solution d’avenir. Mais la course est loin d’être terminée. Les acteurs qui combineront innovation technologique, stratégie industrielle et agilité dans l’exécution auront une longueur d’avance.
Dans ce contexte, les start-ups comme Newcleo ou Jimmy jouent un rôle clé. Leur audace et leur capacité à innover pourraient bousculer les géants établis. Mais pour tous, le défi ultime reste le même : transformer les promesses en réalité industrielle. Qui remportera la mise ? L’avenir nous le dira.