Une nouvelle technique prometteuse pour cibler sélectivement le cancer
Et si le talon d'Achille du cancer se cachait au cœur même de ce qui le rend si redoutable ? C'est le pari audacieux que viennent de remporter des chercheurs de l'université de Stanford, en développant une molécule capable de retourner un des mécanismes clés de la prolifération tumorale contre les cellules cancéreuses elles-mêmes. Une avancée majeure qui ouvre la voie à des traitements d'une précision chirurgicale, sans les lourds effets secondaires de la chimiothérapie.
Forcer le cancer à appuyer sur le bouton "autodestruction"
Notre organisme est une machine bien huilée, où les cellules naissent, vivent et meurent en permanence, remplacées par de nouvelles. Ce cycle vital, appelé apoptose, est finement régulé. Mais il arrive que des cellules dérapent et se mettent à proliférer de manière incontrôlée. C'est là que naît un cancer.
Au cœur de ce mécanisme, on trouve souvent des gènes mutés appelés oncogènes. Véritables graines du cancer, ils court-circuitent l'apoptose, permettant aux cellules tumorales d'échapper à la mort programmée. Depuis des décennies, la recherche tente de neutraliser ces oncogènes. Mais l'équipe de Stanford a choisi une approche radicalement différente :
Plutôt que d'essayer de fermer ces oncogènes, nous cherchons à les utiliser pour réactiver des signaux bénéfiques dans la cellule cancéreuse.
explique Roman Sarott, co-premier auteur de l'étude.
Le lymphome cloué sur place par une super-glue moléculaire
Les chercheurs se sont focalisés sur un oncogène nommé BCL6, impliqué dans un cancer du système immunitaire : le lymphome diffus à grandes cellules B. La protéine BCL6 mutée se fixe à proximité de gènes pro-apoptotiques pour les réprimer, permettant aux cellules cancéreuses de proliférer.
Pour contrer cela, l'équipe a conçu une sorte de colle moléculaire, capable de lier BCL6 à une autre protéine appelée CDK9. Comme BCL6, CDK9 se fixe sur l'ADN, mais pour activer les gènes plutôt que les éteindre. Résultat : collée à CDK9, BCL6 se retrouve à rallumer les gènes de mort cellulaire qu'elle réprimait !
L'idée est d'exploiter une dépendance du cancer pour la retourner contre lui et en faire ce qui le tue, résume Nathanael Gray, co-auteur principal. Et ça marche : en laboratoire, ce "Judo moléculaire" a exterminé les cellules de lymphome avec une efficacité redoutable.
Un traitement d'une précision quasi-chirurgicale
Le duo BCL6/CDK9 est très spécifique du lymphome diffus. Un véritable missile à tête chercheuse anti-cancer : lors de tests sur 859 types de cancers différents, la molécule n'en a ciblé aucun autre. Contrairement aux chimiothérapies classiques, qui rasent tout sur leur passage, elle épargne donc les cellules saines. Chez des souris traitées, aucun effet secondaire majeur n'a été observé, en dehors de la mort de quelques cellules immunitaires.
Vers un catalogue de molécules tueuses sur mesure ?
Les chercheurs veulent maintenant étendre leur approche à d'autres duos de protéines clés dans différents cancers. Par exemple, en ciblant l'oncogène Ras, impliqué dans de nombreuses tumeurs. L'espoir, à terme, serait de disposer d'un véritable arsenal de molécules capables d'éliminer sélectivement une grande variété de cancers.
On en est encore loin. L'efficacité et l'innocuité chez l'humain restent à prouver. Mais cette preuve de concept ouvre des perspectives enthousiasmantes vers une nouvelle génération de traitements anti-cancéreux plus efficaces et mieux tolérés. Un espoir pour les millions de patients dans le monde.
L'étude a été publiée dans la revue Science. Des essais sur des souris porteuses de lymphome sont en cours. Si tout se passe bien, des essais cliniques chez l'homme pourraient suivre dans les années à venir. La route sera longue, mais l'espoir est immense : qu'un jour, on puisse enfin coller le cancer au tapis, proprement et définitivement.