Usine de Terres Rares à Lacq : Une Révolution Hors de Chine

Et si l’avenir de nos voitures électriques et de nos éoliennes se jouait dans un coin discret des Pyrénées-Atlantiques ? Le 17 février 2025, une annonce a secoué le monde de l’industrie : Caremag, branche d’une ambitieuse start-up française, a levé 216 millions d’euros pour bâtir à Lacq la première usine de séparation de terres rares lourdes hors de Chine. Ce projet, qui allie audace technologique et vision écologique, pourrait bien redessiner la carte mondiale des ressources stratégiques. Alors, qu’est-ce qui rend cette initiative si captivante ? Plongeons dans cette aventure qui mêle chimie, géopolitique et espoirs verts.

Une Start-up Française Défie la Domination Chinoise

Depuis des décennies, la Chine règne en maître sur les terres rares, ces métaux essentiels aux technologies modernes. Mais Carester, fondée en 2019 par Frédéric Carencotte, veut changer la donne. Avec sa filiale Caremag, elle pose la première pierre d’une usine qui promet de briser ce monopole. Située sur un site de TotalEnergies près de Pau, cette installation ne se contentera pas de suivre les traces des autres : elle vise à innover en ciblant les terres rares lourdes, un marché jusqu’ici 100 % chinois.

Pourquoi les Terres Rares Lourdes Sont-elles si Précieuses ?

Imaginez un moteur électrique qui propulse une voiture sans jamais faiblir ou une éolienne qui tourne avec une efficacité redoutable. Ces prouesses reposent sur des aimants permanents, dopés par quatre terres rares : le néodyme et le praséodyme (dites "légères"), et le dysprosium et le terbium (les fameuses "lourdes"). Si les premières sont plus abondantes, les secondes, plus rares et complexes à isoler, sont le nerf de la guerre. Aujourd’hui, leur production est un secret bien gardé de Pékin. Lacq veut changer cela.

« Les terres rares lourdes, c’est la clé des performances des aimants. Sans elles, pas de révolution énergétique. »

– Frédéric Carencotte, PDG de Carester

Le projet prévoit de produire **600 tonnes d’oxydes de dysprosium et terbium purs** par an, soit 15 % du marché mondial. Un chiffre impressionnant quand on sait que ces métaux représentent une niche ultra-stratégique. Ajoutez à cela **800 tonnes de néodyme et praséodyme**, et vous obtenez une usine qui pourrait alimenter des géants comme Stellantis tout en réduisant notre dépendance à l’Asie.

Un Financement International pour un Enjeu Global

Pour concrétiser ce rêve, Caremag a réuni une coalition inédite. D’un côté, l’État français injecte **106 millions d’euros**, mêlant subventions et crédits d’impôt verts. De l’autre, deux acteurs japonais – Jogmec et Iwatani – apportent **110 millions d’euros** via une prise de participation et de la dette. Pourquoi le Japon ? Marqué par un embargo chinois en 2010, le pays a fait des terres rares une priorité nationale. Ce partenariat scelle aussi un accord d’achat à long terme, sécurisant une partie de la production pour Tokyo.

Mais ce n’est pas tout. Stellantis, le constructeur automobile, s’engage sur un contrat de **dix ans**. Une visibilité rare dans un secteur où les prix fluctuent sous la pression chinoise. Cette alliance stratégique montre que Caremag ne joue pas petit : elle vise à devenir un pilier de la transition énergétique mondiale.

Recyclage et Production : Le Double Pari de Lacq

L’usine de Lacq ne se contentera pas d’extraire des minerais. Elle mise sur un modèle hybride : recycler **2000 tonnes d’aimants usagés** et traiter **5000 tonnes de concentrés miniers** chaque année. Les aimants, issus de vieux moteurs ou d’éoliennes en fin de vie, seront broyés, dissous dans de l’acide nitrique, puis séparés par un procédé chimique sophistiqué. Résultat ? Des oxydes purs, prêts à être réinjectés dans l’industrie.

• Recyclage : 2000 tonnes d’aimants par an.
• Production : 5000 tonnes de concentrés transformés.
• Objectif : 1400 tonnes d’oxydes de terres rares produits.

Ce choix audacieux répond à une urgence écologique. Plutôt que de tout miser sur l’extraction, Caremag valorise les déchets technologiques, réduisant ainsi l’empreinte carbone de ces métaux précieux. Une usine qui se veut exemplaire, avec un recyclage intégral de l’eau et du solvant, et une réutilisation de **80 % du CO2** généré par ses fours.

Une Usine Verte dans un Monde Sous Tension

À l’heure où la transition énergétique bat son plein, la dépendance aux terres rares chinoises est un talon d’Achille pour l’Europe et le Japon. Lacq arrive comme une réponse concrète. Prévue pour démarrer fin 2026, l’usine créera **92 emplois directs** et s’inscrit dans une logique de souveraineté industrielle. Mais au-delà des chiffres, c’est le procédé qui intrigue : une raffinerie sans effluents liquides, une première mondiale selon Frédéric Carencotte.

Le secret ? Une boucle fermée où chaque goutte d’eau et chaque molécule de solvant sont réutilisées. Ajoutez à cela une gestion optimisée du CO2, et vous obtenez un modèle qui pourrait inspirer d’autres industries. Dans un monde où l’écologie devient un argument de survie, Caremag joue la carte de l’innovation responsable.

Les Défis de l’Approvisionnement Minier

Produire des terres rares, c’est bien. Mais d’où viendront les matières premières ? Caremag mise sur des partenariats avec **11 projets miniers** prévus d’ici 2030. Des contrats sont déjà signés, même si Frédéric Carencotte reste discret sur les détails. Pas de mines en Ukraine pour l’instant, précise-t-il, et en Europe, aucune exploitation ne verra le jour avant la fin de la décennie. Le Groenland et d’autres régions hors Chine sont dans le viseur, mais le flou persiste.

Ce n’est pas un souci pour le PDG. Grâce à son expertise, Carester conseille déjà des industriels miniers à travers le monde, tissant un réseau qui garantit l’approvisionnement. Une stratégie maligne qui transforme une faiblesse potentielle en opportunité.

Un Impact Géopolitique Sous les Radars

Derrière les chiffres et les procédés, il y a un enjeu plus grand : la géopolitique. Les terres rares sont au cœur des tensions internationales, comme l’a montré l’intérêt de Donald Trump pour le Groenland. En s’imposant hors de Chine, Caremag ne fait pas que produire des métaux : elle redistribue les cartes du pouvoir technologique. Le Japon, l’Europe et même les États-Unis pourraient y voir une bouffée d’air frais face à Pékin.

« Sécuriser les terres rares, c’est sécuriser notre avenir industriel. »

– Un analyste japonais anonyme

Pourtant, le chemin est semé d’embûches. La Chine pourrait baisser ses prix pour étouffer cette initiative naissante. Mais avec des contrats longue durée et un soutien étatique, Caremag a des atouts pour tenir le choc.

Et Après ? Les Ambitions de Carester

L’usine de Lacq n’est qu’un début. Carester, avec ses 35 employés, ne compte pas s’arrêter là. En parallèle, la start-up développe des services d’analyse pour les mines et affine ses technologies de séparation. L’objectif ? Devenir un acteur global, capable d’accompagner la filière des terres rares de l’extraction à la transformation. Une vision qui pourrait séduire d’autres investisseurs.

À long terme, Frédéric Carencotte rêve d’un écosystème européen autonome. Si Lacq réussit, d’autres usines pourraient voir le jour, renforçant la résilience du continent face aux crises. Un pari ambitieux, mais qui a déjà convaincu des poids lourds comme Stellantis et le Japon.

Pourquoi Lacq Change la Donne

Ce projet n’est pas qu’une usine. C’est une déclaration d’intention. En mêlant recyclage, production durable et partenariats internationaux, Caremag redéfinit ce que peut être une start-up dans l’industrie lourde. Elle prouve que l’innovation peut rimer avec écologie, et que la France a encore son mot à dire dans la course technologique mondiale.

Fin 2026, quand les premières tonnes d’oxydes sortiront de Lacq, le monde regardera. Réussira-t-elle à tenir ses promesses ? Une chose est sûre : cette aventure, née dans les Pyrénées, pourrait bien électriser l’avenir.