Xposure Music lève 42,5 M$ pour la musique indie
Imaginez un monde où un algorithme peut prédire, avec une précision presque effrayante, quels morceaux oubliés dans les abysses de Spotify continueront de générer des millions d’écoutes dans dix ans. Ce n’est plus de la science-fiction : c’est exactement ce que fait une petite équipe de Montréal depuis deux ans. Et ils viennent de convaincre des investisseurs de débourser 42,5 millions de dollars pour accélérer la chasse.
Xposure Music : quand l’IA rencontre la musique indépendante
Créée en 2021 par Gregory Walfish et Ryan Garber, deux entrepreneurs qui connaissaient déjà bien l’écosystème musical, Xposure Music a commencé par un modèle assez classique : faire payer les artistes pour soumettre leur musique à des labels. Très vite, les fondateurs ont compris que le vrai levier n’était pas là.
En 2023, pivot radical. Exit les soumissions payantes. Bonjour l’achat pur et simple de catalogues d’artistes indépendants, grâce à une plateforme qui analyse des téraoctets de données de streaming pour déterminer quels titres ont le potentiel de devenir des rentes perpétuelles.
Comment fonctionne vraiment leur algorithme ?
L’idée est simple sur le papier, révolutionnaire dans les faits. Les distributeurs indépendants (Too Lost, DistroKid, TuneCore…) fournissent chaque mois des rapports ultra-détaillés sur les performances des chansons : nombre d’écoutes, géographie, taux de complétion, ajouts en playlist, etc.
Xposure Music récupère ces rapports, les nettoie, les croise avec des centaines d’autres variables et nourrit son modèle d’intelligence artificielle. Résultat : la startup n’achète que des titres sortis depuis plus de deux ans – donc avec un historique solide – et qui présentent des courbes de croissance atypiques.
« Le vrai défi, ce n’est pas de repérer les hits du moment. C’est de prédire quels morceaux continueront de performer dans cinq, dix ou quinze ans. »
– Gregory Walfish, co-fondateur et co-PDG de Xposure Music
Et selon lui, ils sont en train de « cracker » cette prédiction.
42,5 millions pour acheter le futur
Le tour de table annoncé début décembre 2025 mélange dette et equity. Du côté dette, on retrouve Andalusian Credit Partners. Côté equity, des family offices et des investisseurs privés, dont un nom bien connu des Québécois : Mitch Garber, homme d’affaires canadien et actionnaire minoritaire des Seattle Kraken.
Avec ces 59 millions de dollars canadiens, l’équipe de dix personnes compte bien multiplier les acquisitions. Objectif : passer de plus de 100 artistes signés aujourd’hui à plusieurs centaines dans les prochains mois, avec une attention particulière portée aux talents canadiens.
Car si le Canada Music Fund a été rechargé à 48 millions cette année, Gregory Walfish le dit sans détour : ces subventions, aussi bienvenues soient-elles, restent largement insuffisantes face aux besoins réels des artistes indépendants.
Pourquoi les artistes acceptent de vendre leurs catalogues
Dans l’industrie musicale actuelle, un artiste indépendant peut mettre des années avant de toucher des royalties significatives. Entre la commission du distributeur (15-20 %), celle des plateformes, les avances éventuelles à rembourser… beaucoup préfèrent un chèque immédiat.
Xposure Music propose exactement cela : une somme cash tout de suite, en échange des droits futurs sur une partie ou la totalité du catalogue. Et grâce à leur modèle data-driven, ils arrivent à proposer des montants souvent plus élevés que les concurrents moins technologiques.
- Avance immédiate sans dette
- Valorisation basée sur des données réelles et projections précises
- Possibilité de garder une partie des droits (deal à la carte)
- Aucun engagement créatif futur
Un marché en pleine explosion
Le phénomène n’est pas isolé. Hipgnosis, Royalty Exchange, ou encore les fonds d’investissement traditionnels se ruent sur les catalogues. Mais la plupart se concentrent sur les stars établies (Bob Dylan, Neil Young, Shakira…). Xposure Music, elle, mise sur la longue traîne : ces milliers d’artistes indépendants qui, cumulés, représentent une part croissante des écoutes mondiales.
Et les chiffres parlent : selon Luminate, les artistes indépendants ont généré plus de 40 % des écoutes aux États-Unis en 2024. Une tendance qui ne fait que s’accélérer.
Montréal, futur hub de la music tech ?
Avec ce financement, Xposure Music renforce la position de Montréal comme place forte de la musique technologique. On pense évidemment à Bandzoogle, SoundBetter (racheté par Spotify), ou encore aux studios d’Applied Acoustics Systems. Mais aussi à la nouvelle génération : Audiokite, Landr, et maintenant Xposure.
La ville combine un vivier d’ingénieurs en IA exceptionnel (Mila, IVADO), des coûts d’exploitation raisonnables et un écosystème musical parmi les plus dynamiques en Amérique du Nord. Le cocktail parfait.
Et demain ?
Gregory Walfish ne s’en cache pas : l’ambition est de devenir le leader mondial de l’acquisition de catalogues indépendants. Avec 700 % de croissance sur les deals signés cette année, la trajectoire est déjà impressionnante.
Prochaines étapes probables : ouverture de bureaux aux États-Unis et en Europe, développement de nouveaux produits financiers pour les artistes (prêts adossés aux royalties futurs ?), et peut-être, un jour, une introduction en bourse.
Une chose est sûre : la musique indépendante n’a jamais été aussi bankable. Et grâce à l’intelligence artificielle, le prochain artiste qui vivra confortablement de ses streams pendant vingt ans pourrait bien être découvert… par une machine basée à Montréal.
Le futur du music business est en train de s’écrire au Québec. Et il parle français, anglais, espagnol, portugais… et surtout, code.