
Zero Waste France Contre l’Incinération
Saviez-vous qu’un Français produit en moyenne 249 kilos de déchets ménagers par an, dont une grande partie finit incinérée ou enfouie ? Cette statistique, bien que choquante, n’est que la pointe de l’iceberg dans le débat sur la gestion des déchets. Alors que les pouvoirs publics vantent la valorisation énergétique comme une solution pour réduire l’enfouissement et produire de l’énergie, une voix s’élève avec force : celle de Zero Waste France. Dans un rapport publié récemment, l’association dénonce les impacts environnementaux et sanitaires de l’incinération, appelant à un moratoire sur les nouvelles unités de valorisation énergétique. Mais pourquoi une telle position, et quelles alternatives propose-t-elle ? Plongeons dans ce sujet brûlant.
L’Incinération : Solution ou Problème ?
La valorisation énergétique, souvent présentée comme une alternative propre aux énergies fossiles, est au cœur des stratégies de gestion des déchets en France. Avec 119 unités d’incinération, dont 117 dédiées à cette pratique, le pays se place en tête du parc européen. Ces installations brûlent 14,5 millions de tonnes de déchets par an, à 91 % de leur capacité. Pourtant, Zero Waste France remet en question cette approche, qualifiant l’incinération de « promesse fumeuse » dans son rapport Les promesses fumeuses de l’incinération. Selon l’association, loin d’être une solution durable, cette pratique pose des problèmes environnementaux, sanitaires et économiques majeurs.
Les Limites Énergétiques de l’Incinération
Produire de l’énergie à partir des déchets semble séduisant, mais l’efficacité énergétique de l’incinération est remise en cause. Les ordures ménagères, composées en grande partie d’eau (notamment les biodéchets), sont peu performantes lorsqu’il s’agit de générer de l’énergie. Brûler ces matériaux humides demande une grande quantité d’énergie pour un rendement souvent médiocre. Zero Waste France va plus loin, dénonçant l’idée que les déchets puissent être considérés comme une source d’énergie renouvelable.
Nos ordures ménagères ne sont pas une ressource énergétique viable. Leur combustion est inefficace et repose sur un gaspillage de matières premières.
– Bénédicte Kjaer Kahlat, Responsable des affaires juridiques, Zero Waste France
En comparaison, les professionnels du secteur, comme Suez, défendent la performance de leurs installations. Ils estiment que 90 % des unités de valorisation énergétique (UVE) affichent un rendement supérieur à 65 %. Cependant, ce chiffre pourrait diminuer avec l’obligation d’éliminer les polluants éternels (PFAS), nécessitant des températures de combustion plus élevées, jusqu’à 1300°C.
Un Impact Sanitaire Inquiétant
Le rapport de Zero Waste France met en lumière les risques sanitaires liés à l’incinération. Les unités de valorisation énergétique émettent des polluants tels que des métaux lourds (cadmium, mercure, plomb) et des PFAS, souvent qualifiés de « polluants éternels » en raison de leur persistance dans l’environnement. De plus, les mâchefers, résidus solides issus de la combustion, posent également problème. Selon une étude de l’ONG néerlandaise ToxicoWatch, les mousses autour de l’UVE d’Ivry-sur-Seine montrent des niveaux de dioxines 10 à 100 fois supérieurs aux seuils recommandés.
Ces polluants sont associés à des troubles respiratoires, des maladies cardiovasculaires, des perturbations hormonales et même des cancers. Zero Waste France pointe également du doigt les inégalités environnementales : les incinérateurs sont souvent implantés près de populations précaires, comme à Ivry ou Saint-Ouen, parmi les communes les plus pauvres de France.
La pollution liée aux incinérateurs représente 2,5 à 3 milliards d’euros de coûts sanitaires et environnementaux par an.
– Pauline Debrabandère, Responsable plaidoyer, Zero Waste France
Des Incitations Financières Controversées
Un autre point de friction concerne les avantages fiscaux accordés à l’incinération. Les unités de valorisation énergétique bénéficient de réductions sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) si elles atteignent un certain rendement énergétique. Les installations brûlant des combustibles solides de récupération (CSR) en sont même totalement exonérées. Zero Waste France demande l’arrêt de ces incitations, arguant qu’elles favorisent une solution polluante au détriment de la prévention et du recyclage.
En parallèle, l’association milite pour l’intégration de l’incinération dans la taxe carbone, afin de refléter son véritable coût environnemental. Une telle mesure pourrait inciter les collectivités à investir dans des solutions plus durables, comme le tri à la source ou le recyclage.
Vers une Gestion Durable des Déchets
Zero Waste France ne se contente pas de critiquer : elle propose des alternatives concrètes. Selon l’association, 80 % des déchets ménagers pourraient être évités, et 55 % relèvent de filières à responsabilité élargie du producteur (REP), comme les emballages ou les textiles. Pourtant, ces déchets finissent souvent dans la poubelle grise, faute de tri efficace.
Voici les priorités défendues par l’association :
- Renforcer la prévention pour réduire la production de déchets à la source.
- Améliorer la collecte sélective et le tri pour maximiser le recyclage.
- Développer des filières de réemploi pour les textiles et les plastiques.
- Investir dans des technologies de tri avancées, comme celles utilisant l’intelligence artificielle.
Sur ce dernier point, les industriels ne sont pas en reste. Suez, par exemple, travaille sur des technologies basées sur l’IA pour mieux caractériser les déchets et les orienter vers les bonnes filières. « Nous sommes les premiers à promouvoir la hiérarchie des déchets, avec la prévention en tête », explique Anthony Ramoni, directeur des unités de valorisation énergétique chez Suez.
L’Innovation au Service de l’Écologie
Face aux critiques, certains acteurs du secteur explorent des solutions innovantes. À Pontivy, Paprec travaille sur une unité de valorisation énergétique intégrant le captage de CO2, une première en France prévue pour 2027. Suez, de son côté, consacre des ressources à la recherche, avec un centre dédié à Toulouse. Ces initiatives montrent que l’industrie cherche à répondre aux défis environnementaux, mais Zero Waste France reste sceptique, estimant que ces technologies ne traitent pas le problème à la source.
Le véritable enjeu, selon l’association, réside dans la réduction massive des déchets, en particulier des plastiques et textiles, qui représentent une part importante des flux incinérés. Une meilleure collecte et un tri plus efficace pourraient permettre de réorienter ces matériaux vers des filières de recyclage ou de réemploi.
Un Débat de Société
Le débat sur l’incinération dépasse les questions techniques : il interroge notre modèle de consommation. Produire moins, trier mieux, recycler plus – ces principes semblent simples, mais leur mise en œuvre demande une mobilisation collective. Les collectivités locales, les industriels et les citoyens ont tous un rôle à jouer. Zero Waste France appelle à une prise de conscience : l’incinération ne doit être qu’un dernier recours, et non une solution par défaut.
En attendant, le moratoire proposé par l’association pourrait freiner l’expansion des unités de valorisation énergétique et ouvrir la voie à des politiques plus ambitieuses en matière de réduction des déchets. Mais face aux enjeux économiques et logistiques, cette transition sera-t-elle possible à court terme ?
Conclusion : Repenser la Gestion des Déchets
Le rapport de Zero Waste France met en lumière une vérité dérangeante : l’incinération, bien que pratique, n’est pas une solution durable. Entre impacts sanitaires, inefficacité énergétique et incitations fiscales controversées, la valorisation énergétique doit être repensée. Les solutions existent : prévention, tri, recyclage, réemploi. Mais elles nécessitent un changement profond dans nos habitudes et nos politiques. Alors, sommes-nous prêts à relever le défi d’une économie circulaire véritablement durable ?