Le Sénat américain veut protéger les créateurs de l’IA
L'intelligence artificielle (IA) fascine autant qu'elle inquiète. Si ses progrès fulgurants ouvrent des perspectives extraordinaires, ils s'accompagnent aussi de craintes légitimes sur les dérives potentielles de cette technologie. C'est en particulier le cas concernant l'utilisation par les systèmes d'IA de contenus créés par des humains sans leur consentement ni rémunération.
Face à ce problème grandissant, un groupe bipartite de sénateurs américains vient de déposer un projet de loi visant à protéger les artistes, auteurs, journalistes et autres créateurs. Baptisé COPIED Act (Content Origin Protection and Integrity from Edited and Deepfaked Media Act), ce texte obligerait les entreprises développant des outils d'IA à permettre d'identifier l'origine des contenus utilisés pour entraîner leurs modèles.
Vers plus de transparence et de traçabilité
Concrètement, le COPIED Act impose aux créateurs d'IA d'intégrer à leurs outils, dans les deux ans, un système permettant d'attacher des informations de provenance aux contenus (textes, images, vidéos, etc). Ces métadonnées indiqueraient notamment qui est l'auteur original et à quelles conditions son oeuvre peut être utilisée.
Tout contenu porteur de ces informations de provenance ne pourrait alors plus être exploité pour entraîner des IA ou générer de nouveaux contenus sans l'accord explicite du créateur. Ce dernier pourrait ainsi fixer ses conditions, y compris financières. Et en cas de non-respect, il aurait un droit de recours en justice contre les plateformes fautives.
Au-delà de la protection des droits des créateurs, le projet de loi entend aussi lutter contre la désinformation en rendant les contenus générés par l'IA plus facilement identifiables. Pour cela, il mandate l'Institut américain des standards et de la technologie (NIST) pour définir des normes de détection des contenus synthétiques et de watermarking (tatouage numérique).
Le soutien des artistes et journalistes
Sans surprise, le COPIED Act reçoit le soutien appuyé de nombreuses organisations représentant les créateurs, comme le syndicat des acteurs SAG-AFTRA, l'association des éditeurs de musique NMPA ou encore la guilde des auteurs-compositeurs SGA. Tous y voient un moyen de rééquilibrer le rapport de force avec les géants de la Tech.
Les artistes et auteurs doivent avoir leur mot à dire sur l'utilisation de leurs oeuvres et être rémunérés de façon juste. Ce projet de loi est un pas dans la bonne direction.
Jordan Bromley, Président du comité des questions juridiques de la NMPA
Le monde des médias est également enthousiaste, à l'image du Seattle Times qui fait partie des soutiens du texte. Et pour cause, les journalistes voient d'un très mauvais oeil l'émergence d'agents conversationnels comme ChatGPT, capables de générer des articles en piochant allègrement dans leurs productions.
La nécessaire réglementation de l'IA
Ce projet de loi s'inscrit dans une tendance de fond : partout dans le monde, les régulateurs s'emparent du sujet de l'IA pour tenter d'encadrer son développement. L'objectif est de favoriser l'innovation tout en protégeant les citoyens contre les risques.
Ainsi, le mois dernier, le sénateur Ted Cruz a déposé un texte visant à responsabiliser les réseaux sociaux sur la modération des contenus pornographiques deepfakes. Et en mai, le leader de la majorité au Sénat Chuck Schumer présentait une "feuille de route" sur l'IA.
À noter que cet intérêt des politiques pour l'IA n'est pas limité au niveau fédéral. Ainsi, d'après le média Axios, les assemblées des États américains introduisent actuellement pas moins de 50 projets de loi par semaine sur le sujet !
Des garde-fous indispensables
Alors certes, on peut argumenter que toute nouvelle technologie suscite des peurs et appelle une réglementation. Mais dans le cas de l'IA, les enjeux sont particulièrement importants. Car au-delà des aspects de propriété intellectuelle, ce sont nos libertés fondamentales et le fonctionnement même de nos démocraties qui sont en jeu.
Laisser les intelligences artificielles se nourrir sans contrôle de tout ce que l'humanité produit, c'est prendre le risque qu'elles amplifient les biais, diffusent massivement de fausses informations et échappent au final à notre maîtrise. D'où l'importance de poser des garde-fous, comme s'efforce de le faire le COPIED Act.
Bien sûr, ce texte ne réglera pas tout. Mais en responsabilisant les créateurs d'IA et en donnant des droits aux auteurs de contenus, il va dans le bon sens. Il permet d'engager le dialogue entre deux mondes qui ont tout intérêt à collaborer plutôt que s'affronter : celui de la technologie et celui de la création.
L'avenir dira si le Congrès américain transforme l'essai. Une chose est sûre : d'autres pays, notamment en Europe, suivent l'initiative de très près. Avec à la clé l'espoir d'une IA plus éthique et respectueuse des créateurs.