Décarboner l’Industrie Chimique : Défis et Innovations
Avec près de 200 millions de tonnes de CO2 émises chaque année en Europe, l'industrie chimique fait partie des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, elle doit opérer une transformation radicale et accélérer le déploiement de technologies bas-carbone. Un défi colossal, aux multiples facettes, qui soulève encore de nombreuses incertitudes.
Un mix de solutions pour décarboner la chimie
Selon Yves Lenain, expert climat chez Deloitte, il n'existe pas de réponse unique pour décarboner l'industrie chimique. Les industriels doivent combiner différents leviers :
- L'électrification de la production, en remplaçant les énergies fossiles par des sources bas-carbone comme les renouvelables ou le nucléaire.
- L'utilisation d'hydrogène vert produit par électrolyse de l'eau, pour remplacer l'hydrogène d'origine fossile.
- Le captage, stockage et utilisation du CO2 (CCUS) émis par les procédés chimiques, une technologie encore émergente.
- Le recours à la biomasse comme matière première alternative au pétrole.
- Le développement du recyclage chimique pour créer de nouvelles boucles circulaires.
Chaque entreprise devra trouver le bon mix en fonction de ses spécificités et contraintes locales. Des choix complexes aux lourdes implications financières.
L'électrification, premier levier de décarbonation
Avec un potentiel de réduction des émissions de CO2 estimé entre 20 et 35%, l'électrification de la production chimique apparaît comme un levier majeur de décarbonation. Mais elle suppose un approvisionnement massif en électricité bas-carbone, alors que la plupart des pays européens font face à des tensions sur leur mix énergétique.
Le déploiement de l'électrification dépendra de la disponibilité d'une électricité décarbonée compétitive. Un enjeu qui appelle une planification énergétique ambitieuse au niveau européen.
Yves Lenain, Deloitte
Hydrogène vert : une pièce maîtresse du puzzle
L'hydrogène est un intrant clé de l'industrie chimique, utilisé notamment pour la production d'ammoniac et de méthanol. Aujourd'hui essentiellement d'origine fossile, il devra être remplacé par de l'hydrogène vert produit par électrolyse de l'eau. Là encore, le principal frein est la disponibilité d'électricité renouvelable bon marché.
Plusieurs projets d'envergure se montent en Europe, avec le soutien des états et de l'UE. Mais il faudra construire toute l'infrastructure nécessaire : électrolyseurs géants, réseaux de transport, stockage… Un investissement massif qui se chiffre en dizaines de milliards d'euros.
Le CCUS, technologie clé malgré les incertitudes
Pour les procédés chimiques les plus difficiles à électrifier, le captage et le stockage du carbone (CCS) sera indispensable pour atteindre la neutralité. Cette technologie permet de récupérer le CO2 en sortie d'usine et de l'enfouir dans des réservoirs géologiques. Problème : son déploiement à grande échelle reste à démontrer.
Certains misent aussi sur l'utilisation du CO2 capté (CCU) comme matière première de nouveaux produits chimiques. Mais les débouchés sont encore limités. Des démonstrateurs se montent pour tester la viabilité technique et économique de ces technologies.
Recyclage chimique : boucler la boucle
Enfin, le recyclage chimique ouvre la voie à une économie plus circulaire, en permettant de régénérer les plastiques usagés en nouvelles matières premières. Différentes technologies sont à l'étude, comme la pyrolyse ou la solvolyse, pour dépolymériser ces déchets complexes.
Pour que le recyclage chimique puisse réellement contribuer à la décarbonation, il faudra un cadre réglementaire incitatif. Avec des objectifs contraignants d'incorporation de matières recyclées.
Un expert du secteur
Plusieurs dizaines de milliards d'investissements nécessaires
Electrification, hydrogène, CCS, recyclage chimique… La décarbonation de la chimie passera par un panachage de toutes ces solutions. Avec à la clé des investissements colossaux, estimés entre 30 et 45 milliards d'euros d'ici 2050 pour la France.
Un effort indispensable pour maintenir la compétitivité de cette industrie stratégique face à la concurrence mondiale. Mais qui soulève encore beaucoup de questions sur le financement et le modèle économique de cette transition. Les pouvoirs publics auront un rôle clé à jouer pour accompagner les entreprises et sécuriser leurs investissements.
Entre réglementation, mécanismes de soutien et planification des infrastructures, c'est toute une politique industrielle qu'il faudra mettre en place pour mener à bien cette décarbonation profonde. Un immense chantier qui ne fait que commencer, mais dont dépend l'avenir de toute une filière.
