Leonardo et Baykar : Une Alliance pour les Drones du Futur

Et si l’avenir de la défense européenne passait par une alliance inattendue entre l’Italie et la Turquie ? Le 6 mars 2025, deux géants de l’aéronautique, Leonardo et Baykar, ont dévoilé un projet ambitieux : une coentreprise dédiée à la production de drones. Ce partenariat, qui s’inscrit dans un contexte de réarmement accéléré en Europe, promet de redéfinir les standards de la technologie aérienne sans pilote. Avec un marché estimé à 100 milliards de dollars sur la prochaine décennie, cette collaboration pourrait bien être le coup d’éclat dont le Vieux Continent a besoin pour combler son retard dans le domaine.

Une Alliance Stratégique pour l’Avenir

L’annonce a fait l’effet d’une petite révolution dans le secteur de la défense. Leonardo, mastodonte italien aux 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, et Baykar, champion turc des drones mondialement reconnu, unissent leurs forces. Leur objectif ? Concevoir, développer et produire des systèmes aériens sans pilote capables de répondre aux besoins croissants des armées européennes et internationales. Le siège de cette nouvelle entité sera basé en Italie, mais des sites de production verront le jour dans les deux pays, signe d’une collaboration équilibrée.

Pourquoi cette coentreprise arrive au bon moment

L’Europe traverse une période charnière. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, les budgets militaires des pays de l’Union européenne n’ont cessé de grimper. Pourtant, un constat demeure : le continent accuse un retard significatif en matière de **technologies sans pilote**. Roberto Cingolani, directeur général de Leonardo, ne mâche pas ses mots à ce sujet. Lors d’une conférence de presse tenue à Rome, il a souligné l’urgence de combler ce vide technologique pour garantir la sécurité mondiale dans un contexte géopolitique tendu.

L’Europe souffre d’un déficit en technologies sans pilote, et dans des temps troublés comme aujourd’hui, assurer la sécurité est une priorité absolue.

– Roberto Cingolani, PDG de Leonardo

Baykar, de son côté, apporte une expertise inégalée. Avec des drones comme le Bayraktar TB2, utilisé avec succès en Ukraine, ou le puissant Akinci, capable de transporter 1 350 kg de munitions, l’entreprise turque s’est imposée comme un leader mondial. Cette alliance avec Leonardo, qui excelle dans les systèmes de mission et les certifications aéronautiques, semble donc taillée pour répondre aux défis du moment.

Un marché colossal en ligne de mire

Le potentiel économique de cette initiative est vertigineux. Les deux entreprises estiment que le marché européen des drones – incluant les chasseurs sans pilote, les drones de surveillance armés et les drones d’attaque – atteindra **100 milliards de dollars** d’ici 2035. Ce chiffre, loin d’être une simple projection optimiste, reflète une demande croissante pour des solutions autonomes et polyvalentes dans les conflits modernes.

Pour mieux comprendre l’ampleur de cette opportunité, jetons un œil aux segments visés :

• Les drones de surveillance armés, pour des missions de reconnaissance et d’intervention rapide.
• Les chasseurs sans pilote, futurs piliers de la supériorité aérienne.
• Les drones d’attaque longue portée, capables de frapper en profondeur.

Cette diversité illustre la volonté des deux partenaires de ne pas se limiter à un seul type de produit, mais de couvrir l’ensemble des besoins militaires actuels et futurs.

Une collaboration déjà bien rodée

Ce partenariat ne sort pas de nulle part. Leonardo et Baykar collaborent déjà depuis quatre à cinq ans sur le plan commercial, échangeant savoir-faire et explorant des synergies. « Nous avons décidé d’aller plus loin », a expliqué Cingolani. Cinq mois de négociations intenses ont suffi pour sceller cet accord, un délai remarquablement court qui témoigne de l’alignement stratégique entre les deux groupes.

Dès l’annonce, les discussions avec les forces armées italiennes et turques ont débuté. Cette rapidité d’exécution montre à quel point les deux entreprises sont prêtes à transformer leur vision en réalité opérationnelle.

Des drones nouvelle génération en vue

Le premier fruit de cette collaboration devrait voir le jour d’ici 12 à 18 mois. Il s’agira d’une version améliorée du Bayraktar Akinci, un drone lourd capable de rester en vol pendant 24 heures. Leonardo y intégrera ses dernières avancées en matière d’électronique, comme des radars et des capteurs de pointe, pour en faire une machine encore plus redoutable.

Mais l’ambition ne s’arrête pas là. Les deux partenaires envisagent de développer des drones capables d’accompagner les chasseurs de nouvelle génération, comme ceux du programme GCAP (Global Combat Air Programme), auquel Leonardo participe déjà avec le Royaume-Uni et le Japon. Cette perspective d’un « Loyal Wingman » – un drone assistant piloté par IA – pourrait changer la donne dans les combats aériens futurs.

Italie et Turquie : un duo complémentaire

Ce qui rend cette alliance si prometteuse, c’est la complémentarité des deux acteurs. Leonardo apporte son expertise en systèmes de commandement, capteurs avancés et certification européenne, essentielle pour pénétrer les marchés de l’UE. Baykar, quant à lui, excelle dans la conception de plateformes robustes et éprouvées au combat, avec une capacité de production déjà bien établie.

Les sites de production illustrent cette répartition des rôles :

• Ronchi dei Legionari (Italie) : un centre spécialisé dans les drones.
• Turin et Rome Tiburtina : pour la production et les technologies multi-domaines.
• Nerviano : dédié aux synergies dans le secteur spatial.
• Turquie : assemblage des plateformes Baykar.

Cette organisation géographique maximise les forces de chaque partenaire tout en facilitant la certification et la distribution en Europe.

Un enjeu géopolitique majeur

Au-delà de l’aspect technologique, cette coentreprise porte une dimension stratégique. L’Europe cherche à réduire sa dépendance aux drones américains et israéliens, qui dominent encore le marché. En s’appuyant sur un acteur turc comme Baykar, l’Italie fait un pari audacieux : renforcer sa propre industrie tout en tissant des liens avec un pays à la croisée de l’Europe et du Moyen-Orient.

Selçuk Bayraktar, président de Baykar et gendre du président turc Recep Tayyip Erdoğan, voit dans ce projet une chance de « construire une suprématie aérienne ». Une ambition qui résonne avec les aspirations de la Turquie à s’imposer comme une puissance technologique globale.

Les défis à relever

Malgré l’enthousiasme, des obstacles subsistent. La certification des drones pour le marché européen, bien que facilitée par Leonardo, demandera du temps et des ajustements. Par ailleurs, la concurrence ne manque pas : le programme Eurodrone, auquel participe également Leonardo avec Airbus et Dassault, vise des drones de moyenne altitude à longue endurance (MALE). Cingolani insiste toutefois sur la complémentarité entre ces initiatives, arguant que les produits de la coentreprise occuperont un segment différent.

Un autre défi réside dans l’intégration des technologies d’intelligence artificielle, un domaine où Baykar mise gros. Les drones du futur devront être autonomes, capables de prendre des décisions en temps réel. Cette course à l’IA pourrait bien être le prochain terrain de jeu de cette alliance.

Quel impact pour l’industrie européenne ?

Cette coentreprise pourrait redessiner le paysage industriel européen. En combinant les capacités de production turques avec l’ingéniosité italienne, elle offre une alternative crédible aux solutions importées. Elle pourrait aussi stimuler l’emploi dans les deux pays, notamment dans des régions comme le Frioul ou la Lombardie en Italie, où Leonardo possède des sites clés.

Pour les armées européennes, c’est une aubaine. Disposer de drones conçus localement, adaptés à leurs besoins spécifiques et certifiés selon les normes de l’UE, renforcerait leur autonomie stratégique. Un enjeu crucial à l’heure où les tensions internationales s’intensifient.

Vers une révolution dans le ciel

Leonardo et Baykar ne se contentent pas de répondre à une demande existante : ils anticipent l’avenir. Leur vision inclut des drones capables d’évoluer aux côtés des chasseurs de sixième génération, intégrant des systèmes d’IA avancés et des capacités multi-domaines. Le premier prototype, attendu d’ici 2026 ou 2027, sera un test décisif de cette ambition.

En attendant, cette alliance envoie un message clair : l’Europe ne veut plus être un simple spectateur dans la course aux **drones militaires**. Avec Leonardo et Baykar aux commandes, le ciel pourrait bien devenir le théâtre d’une révolution technologique sans précédent.