
Meta Contre « Careless People » : Une Bataille Judiciaire
Imaginez un instant : vous travaillez pour l’une des plus grandes entreprises technologiques au monde, puis, des années plus tard, vous décidez de raconter votre vérité dans un livre. C’est ce qu’a fait Sarah Wynn-Williams avec Careless People, un memoir qui secoue Meta et ravive les débats sur la liberté d’expression dans la Silicon Valley. Mais cette semaine, une décision judiciaire a donné un coup de frein à cette aventure littéraire, tout en amplifiant paradoxalement son écho.
Quand Meta Riposte : Une Victoire en Demi-Teinte
Meta, géant des réseaux sociaux, a remporté une première manche contre son ancienne employée. Un arbitrage a statué que Sarah Wynn-Williams, qui a travaillé chez Facebook (devenu Meta) de 2011 à 2017, pourrait avoir enfreint un accord de non-dénigrement signé à son départ. Résultat : elle doit temporairement cesser de promouvoir son livre, Careless People : A Cautionary Tale of Power, Greed, and Lost Idealism, en attendant une décision définitive.
Cette injonction, bien que sérieuse, n’a pas empêché le livre de rester disponible à la vente. Mieux encore, il semble profiter d’un effet boomerang : dimanche dernier, il occupait la troisième place des meilleures ventes sur Amazon. Un paradoxe qui illustre parfaitement l’effet Streisand, où tenter de cacher quelque chose ne fait que le rendre plus visible.
Un Memoir qui Dérange : Que Raconte "Careless People" ?
Careless People n’est pas un simple récit d’entreprise. Sarah Wynn-Williams, ancienne directrice des politiques publiques globales chez Facebook, y dévoile une vision crue et sans filtre des coulisses de la firme. Elle décrit une évolution troublante : d’une start-up pleine d’idéaux à une machine où règnent pouvoir, avidité et compromissions.
J’y ai passé sept ans, et si je devais résumer, je dirais que ça a commencé comme une comédie pleine d’espoir et s’est terminé dans l’obscurité et le regret.
– Sarah Wynn-Williams
Le livre aborde des sujets brûlants, comme les relations de Facebook avec la Chine. Selon l’autrice, l’entreprise aurait envisagé en 2015 un système de censure sur mesure pour plaire au gouvernement chinois, avec un “rédacteur en chef” capable de fermer le site à distance. Une accusation grave, que Meta rejette en bloc, affirmant n’avoir jamais concrétisé ces projets.
Des Accusations Personnelles Explosives
Bien au-delà des questions géopolitiques, Sarah Wynn-Williams n’hésite pas à pointer du doigt des comportements internes. Elle raconte des interactions troublantes avec Joel Kaplan, aujourd’hui vice-président des politiques publiques chez Meta. Parmi les anecdotes : des remarques déplacées, un commentaire sur son “charme sulfureux” et même un incident où il se serait frotté contre elle lors d’un événement professionnel.
Meta a réagi en qualifiant ces allégations de “trompeuses et infondées”, assurant avoir enquêté à l’époque sans trouver de preuves. Mais ces révélations jettent une lumière crue sur la culture d’entreprise et alimentent les critiques sur la gestion des plaintes internes.
La Défense de Meta : Une Simple Vengeance ?
Face à la tempête, Meta ne mâche pas ses mots. Pour le géant, Careless People est un mélange de “vieilles rumeurs” et d’accusations “fausses” visant ses dirigeants. Un porte-parole a tenu à préciser que Sarah Wynn-Williams avait été licenciée il y a huit ans pour “mauvaise performance”, suggérant que ce livre serait une revanche personnelle plutôt qu’un acte de lanceuse d’alerte.
Sur la question chinoise, Meta admet avoir exploré une expansion dans le pays il y a une décennie, un projet abandonné depuis, comme l’a annoncé Mark Zuckerberg en 2019. “Nous ne sommes pas présents en Chine aujourd’hui”, insiste l’entreprise, balayant les spéculations d’un revers de main.
L’Éditeur Contre-Attaque : Une Lutte pour la Liberté
Macmillan, éditeur de Careless People via son label Flatiron Books, ne plie pas. Dans un communiqué, il dénonce les “tactiques d’intimidation” de Meta et défend son autrice : “Cette décision n’a aucun impact sur nous. Nous continuerons à promouvoir ce livre essentiel.” Pour Macmillan, l’arbitrage ne remet pas en cause le contenu du memoir, minutieusement vérifié avant publication.
L’éditeur va plus loin, s’indignant de l’utilisation d’une clause de non-dénigrement pour “faire taire” une voix critique. Une position qui résonne dans un contexte où les géants technologiques sont souvent accusés de museler les dissidents.
Un Écho dans la Silicon Valley
Le cas de Careless People dépasse largement le cadre d’un différend entre une ex-employée et son ancien employeur. Il soulève des questions cruciales : jusqu’où une entreprise peut-elle contrôler le récit de ses anciens collaborateurs ? Les accords de confidentialité sont-ils des outils légitimes ou des armes de censure ?
- Meta affirme protéger ses intérêts légitimes.
- Sarah Wynn-Williams se pose en défenseure de la transparence.
- Les lecteurs, eux, plébiscitent le livre malgré – ou grâce à – la polémique.
Les Réactions des Anciens Collègues
Tous ne soutiennent pas l’autrice. Mike Rognlien, un ex-collègue ayant travaillé à ses côtés à New York, a dénoncé sur les réseaux sociaux un livre “rempli de mensonges”. “J’étais là, et ce qu’elle raconte ne correspond pas à ce que j’ai vu”, a-t-il écrit. Une voix parmi d’autres qui alimente le débat sur la véracité des faits rapportés.
Sarah Wynn-Williams, interrogée avant la décision d’arbitrage, a balayé ces critiques : “Meta préfère détourner l’attention plutôt que de répondre aux vraies questions.” Pour elle, le fond du problème – les compromis éthiques et les dérives internes – mérite un débat public.
Et Maintenant ? Une Bataille Loin d’Être Terminée
Si l’arbitrage a freiné la promotion de Careless People, il n’a pas éteint l’incendie. Le livre continue de se vendre, porté par une curiosité publique grandissante. Les prochaines étapes de l’arbitrage privé détermineront si Sarah Wynn-Williams pourra reprendre sa croisade littéraire sans entraves.
En attendant, ce conflit illustre une tension croissante dans l’univers des start-ups technologiques : entre ambition démesurée et quête de vérité, le fossé semble se creuser. Et si Careless People n’était que la première salve d’une vague de révélations à venir ?
Pour l’heure, une chose est sûre : cette histoire captive, divise et interroge. Elle nous rappelle que derrière les écrans et les algorithmes se cachent des luttes humaines, complexes et parfois brutales. À vous de juger : Meta est-elle dans son droit, ou assiste-t-on à une tentative désespérée de garder le contrôle ?