Shopify licencie encore pour simplifier
Imaginez une entreprise valorisée à près de 300 milliards de dollars canadiens qui, du jour au lendemain, décide de se débarrasser de certains de ses managers comme on enlève un pull trop lourd en plein été. C’est exactement ce qui vient de se passer chez Shopify.
Depuis quelques semaines, des posts LinkedIn pleuvent : directeurs de comptes, responsables opérations, managers de la « merchant success »… tous annoncent, avec plus ou moins de diplomatie, qu’ils ne font plus partie de l’aventure. Et cette fois, ce n’est pas (seulement) à cause de la conjoncture.
Shopify supprime les « couches de complexité »
Le porte-parole Ben McConaghy l’a dit sans détour à BetaKit : l’entreprise a « supprimé des couches qui créaient de la complexité sans valeur ajoutée pour les marchands ».
« Cela concerne une fraction de pourcent de l’équipe, ce qui nous garde rapides, affûtés et concentrés sur le succès à long terme des marchands. »
– Ben McConaghy, porte-parole Shopify
Traduction : moins de middle management, plus de vitesse d’exécution. Avec environ 8 100 employés fin 2024, une « fraction de pourcent » peut tout de même représenter jusqu’à 80 personnes. Pas une hémorragie, mais un signal fort.
Deux vagues distinctes, deux messages différents
Attention à ne pas tout mélanger. Cet automne, Shopify a déjà licencié une poignée de commerciaux (moins de dix, selon l’entreprise) après avoir découvert qu’ils gonflaient artificiellement leurs chiffres de vente depuis plus d’un an.
Kaz Nejatian, l’ex-COO parti depuis chez Opendoor, avait posé un ultimatum clair : avouez ou assumez les conséquences. L’affaire a été réglée en interne, sans impact financier, assure la direction.
Les licenciements actuels, eux, touchent surtout des postes managériaux hors ventes. Deux opérations distinctes, deux rationales différentes : d’un côté la tolérance zéro sur la fraude, de l’autre la chasse aux lourdeurs organisationnelles.
Pourquoi maintenant ?
Shopify n’a jamais été une entreprise comme les autres. Depuis sa création en 2006 à Ottawa par Tobias Lütke, elle cultive une culture d’exécution rapide, presque obsessionnelle. Rappelez-vous 2022 : l’entreprise avait embauché à tour de bras pendant la pandémie… puis avait licencié 20 % de ses effectifs quand la croissance s’est normalisée.
Cette fois, le discours est plus chirurgical. On ne parle plus de « retour à la réalité post-Covid » mais d’une quête permanente de légèreté. L’idée ? Rester une scale-up dans l’âme même à 300 milliards de capitalisation.
Dans un mémo interne célèbre, Tobi Lütke expliquait déjà en 2022 que Shopify devait redevenir « le meilleur endroit où travailler… pour les gens qui veulent construire vite ».
Ce que ça dit du marché tech en 2025
Shopify n’est pas seule. Meta, Amazon, Google, tous les géants continuent de tailler dans leurs effectifs ou de réorganiser leurs strates managériales. Mais le géant canadien le fait avec une brutalité tranquille qui tranche avec la communication larmoyante de certains concurrents.
Ici, pas de larmes : on assume. On supprime des postes parce qu’ils ralentissent l’exécution. Point.
- Moins de validation en cascade
- Décisions plus près du terrain
- Équipes plus autonomes
- Réactivité accrue face à la concurrence (Mirakl, BigCommerce, Adobe Commerce…)
Dans l’e-commerce, où les cycles produit se comptent parfois en semaines, chaque jour compte.
Un turnover exécutif qui interpelle
Depuis l’été, les départs s’enchaînent au sommet :
- Kaz Nejatian (ex-COO) parti chez Opendoor en septembre
- Giang LeGrice, sa bras droit, l’a suivi
- Bobby Morrison, chief revenue officer, parti en octobre
- Jess Hertz promue COO pour remplacer Nejatian
Ces mouvements au sommet, combinés aux ajustements actuels, dessinent le portrait d’une entreprise qui se réinvente en profondeur.
Et les employés dans tout ça ?
En Ontario, la loi impose des préavis plus longs dès 50 licenciements collectifs. Shopify semble être resté juste en dessous du seuil pour éviter les formalités. Stratégie légale, mais qui laisse un goût amer à certains ex-employés.
Le cabinet Samfiru Tumarkin, déjà connu pour avoir attaqué Shopify sur des questions d’indemnités en 2022, a été contacté par plusieurs personnes touchées. Rien de massif, mais assez pour rappeler que derrière les beaux discours sur la « vitesse » se cachent des vies bouleversées.
Ce que l’avenir nous réserve
Shopify reste le numéro 2 canadien en bourse, derrière Royal Bank of Canada. Ses résultats continuent de surprendre positivement. La plateforme attire toujours plus de gros clients (Mattel, Reebok, etc.) tout en conservant son ADN de facilitateur pour les petits commerçants.
Mais cette nouvelle vague de simplification en dit long sur la maturité de l’entreprise : elle n’a plus besoin d’autant de garde-fous. Elle veut redevenir cet OVNI agile qui a bousculé l’e-commerce il y a quinze ans.
En clair : Shopify ne grandit plus, elle affine.
Et quand une entreprise de cette taille se met au régime, c’est tout l’écosystème tech canadien qui retient son souffle. Parce que si même le fleuron national se sent obligé de couper dans le gras managérial pour rester compétitif… que doivent faire les autres ?
La réponse, on l’aura peut-être lors du prochain trimestre. En attendant, une chose est sûre : chez Shopify, la devise « build for the long term » n’a jamais semblé aussi… radicale.