Givefront : Fintech pour Non-Profits par Jeunes Dropouts
Imaginez gérer une association caritative avec des outils financiers dignes des années 90, alors que les startups lèvent des millions grâce à des plateformes ultra-modernes. C’est la réalité de millions d’organismes à but non lucratif aux États-Unis. Pourtant, deux jeunes de 21 ans ont décidé de changer cela radicalement.
Givefront : La fintech qui veut révolutionner la finance des associations
Matt Tengtrakool et Aidan Sunbury n’ont pas attendu d’avoir un diplôme en poche pour se lancer. L’un a quitté Harvard, l’autre UC Berkeley. Ensemble, ils ont fondé Givefront, une plateforme financière pensée exclusivement pour les organismes à but non lucratif. Leur ambition ? Apporter aux associations les mêmes outils modernes que ceux dont bénéficient les entreprises classiques.
Le secteur non lucratif représente environ 6 % du PIB américain, soit des trillions de dollars chaque année. Pourtant, la plupart de ces structures utilisent encore des logiciels obsolètes, loin des standards actuels en matière de gestion de dépenses ou de conformité.
Un parcours atypique pour des fondateurs hors norme
Matt Tengtrakool, le CEO, a toujours été passionné par les systèmes financiers. Avant Givefront, il a tenté l’aventure entrepreneuriale au Nigeria avec une plateforme d’agrégation de microcrédits. De retour aux États-Unis, il s’est impliqué dans plusieurs associations étudiantes, jusqu’à en diriger certaines.
C’est là qu’il a constaté le fossé abyssal. Les organisations qu’il aidait généraient parfois près de 500 000 dollars de dons, mais peinaient à gérer correctement leurs finances pour rester conformes aux exigences fiscales et réglementaires.
« Nous nous sommes rendu compte que la plupart des associations n’avaient pas d’outils financiers adéquats pour garantir leur conformité ou protéger leur statut d’exonération fiscale. Les solutions existantes étaient totalement déconnectées des standards modernes du monde startup. »
– Matt Tengtrakool, CEO de Givefront
De cette frustration est né le premier prototype de Givefront, d’abord conçu pour les besoins internes des associations qu’il gérait. Rapidement, la demande s’est étendue à d’autres structures à travers le pays.
Un pivot stratégique après Y Combinator
Givefront intègre le batch Winter 2024 de Y Combinator avec une vision large : banking, comptabilité, tout-en-un pour les non-profits. Mais la réalité du terrain les rattrape vite.
Convaincre une association de changer de banque ou de logiciel comptable principal s’avère extrêmement long et complexe. Les fondateurs décident alors de pivoter vers un produit plus accessible : les cartes de paiement et la gestion de dépenses.
Comme l’explique Matt Tengtrakool, il est bien plus simple de faire adopter une nouvelle carte qu’un changement complet de système comptable.
Des fonctionnalités taillées pour les réalités du secteur non lucratif
À première vue, Givefront ressemble aux plateformes comme Ramp ou Brex. Mais les contraintes des associations sont uniques et souvent ignorées par les outils généralistes.
Les non-profits gèrent des subventions avec des règles d’utilisation strictes, doivent justifier chaque dépense auprès des donateurs, rembourser les frais des bénévoles, et remplir des déclarations fiscales complexes comme le Formulaire 990 de l’IRS.
- Gestion des budgets par subvention (restricted vs unrestricted)
- Contrôles de dépenses en temps réel adaptés aux règles des donateurs
- Capture automatique de justificatifs pour les audits
- Intégrations avec les logiciels legacy comme Blackbaud ou Sage
- Workflows d’approbation pensés pour les trésoriers bénévoles
Givefront ne cherche pas à remplacer ces systèmes historiques, mais à s’installer comme une couche verticale moderne par-dessus. Une approche pragmatique qui accélère l’adoption.
Une croissance fulgurante en quelques mois
Lancée il y a seulement six mois, la plateforme compte déjà plusieurs centaines d’organisations clientes. La croissance mensuelle dépasse les 200 % en volume de paiements et en revenus.
Les églises et organisations religieuses forment le segment le plus dynamique. Beaucoup dépendent de trésoriers bénévoles sans formation financière. L’automatisation apportée par Givefront leur simplifie considérablement la vie.
L’objectif : atteindre 1 000 clients d’ici fin 2025, puis 5 000 mi-2026. Un rythme ambitieux qui témoigne de la pertinence du produit.
Une levée de fonds à 2 millions de dollars
Récemment, Givefront a annoncé une levée de 2 millions de dollars en seed. Le tour est mené par Script Capital, avec la participation de Y Combinator, C3 Ventures, Phoenix Fund et plusieurs anges prestigieux dont les CEOs de Chariot et Wealthfront.
Cet argent servira à accélérer la distribution, recruter, et enrichir l’offre cartes et paiement de factures. À terme, l’entreprise envisage d’ajouter paie, banking, budgétisation, voire gestion de dotations et placements.
La jeunesse : atout ou frein ?
L’équipe est particulièrement jeune. Matt et Aidan ont 21 ans, et l’ingénieur fondateur n’en a que 17. Cette jeunesse suscite des réactions contrastées.
Certains responsables associatifs trouvent cela rafraîchissant et font confiance à cette nouvelle génération. D’autres hésitent à confier leurs finances à des fondateurs si jeunes.
Mais les résultats parlent d’eux-mêmes. En quelques mois, Givefront s’est imposé comme une solution crédible face aux géants établis comme Blackbaud ou MIP.
Pourquoi ce vide existait-il jusqu’à présent ?
La vague fintech des dix dernières années a transformé la finance d’entreprise : Brex pour les cartes corporate, Ramp pour les contrôles de dépenses, Mercury pour le banking startup. Mais le secteur non lucratif, pourtant immense, est resté à l’écart.
Les raisons sont multiples : cycles de vente longs, réglementations complexes, budgets limités, dépendance à des logiciels historiques. Les grandes plateformes généralistes n’ont jamais pris le temps d’adapter leurs produits.
Givefront comble ce vide avec une approche verticale dès le départ. Une stratégie qui rappelle d’autres succès comme Toast dans la restauration ou Veeva dans la pharma.
Un modèle économique classique mais efficace
Givefront monétise via l’interchange sur les cartes et des abonnements liés au paiement de factures. Un modèle éprouvé dans la fintech corporate.
À mesure que la plateforme grandira, de nouvelles sources de revenus apparaîtront naturellement avec l’ajout de produits adjacents. Une roadmap claire et progressive.
Vers une transformation profonde du secteur
Au-delà des outils, Givefront pourrait contribuer à une professionnalisation accrue des associations. Meilleure transparence, réduction des risques de non-conformité, optimisation des fonds : autant d’impact positif sur les missions sociales.
Dans un pays où près de 1,9 million d’organismes sont enregistrés comme non-profits, le potentiel est colossal. Si Givefront parvient à capter ne serait-ce qu’une petite fraction de ce marché, l’impact sera significatif.
L’histoire de ces deux jeunes fondateurs rappelle que l’innovation ne vient pas toujours des parcours classiques. Parfois, il suffit d’avoir vécu le problème de l’intérieur pour proposer la bonne solution.
Givefront n’en est qu’à ses débuts, mais la trajectoire est déjà impressionnante. Reste à voir si cette jeune pousse parviendra à devenir le standard incontournable de la finance associative. Une chose est sûre : le secteur en avait grandement besoin.