
Arkema : Pourquoi l’Europe Reste une Priorité Stratégique
Et si l’avenir de la chimie se jouait encore en Europe ? Alors que les regards se tournent souvent vers l’Asie ou l’Amérique du Nord pour les grandes annonces industrielles, Arkema, le géant français de la chimie, maintient un cap surprenant : 40% de ses investissements restent ancrés sur le Vieux Continent. Dans un contexte où les coûts énergétiques explosent et où la demande stagne, cette décision interpelle. Partons à la découverte d’une stratégie qui mêle héritage, pragmatisme et ambition écologique.
Arkema : Un Pari Européen à Contre-Courant
À première vue, miser sur l’Europe pourrait sembler audacieux, voire risqué. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, le secteur chimique européen a souffert d’une conjoncture morose, entre hausse des prix de l’énergie et ralentissement économique. Pourtant, Arkema ne lâche pas prise. Thierry Le Hénaff, PDG du groupe, l’a réaffirmé lors de la présentation des résultats 2024 : « L’Europe, c’est 40% de nos investissements, et ça ne changera pas en 2025. » Une déclaration qui tranche avec la tendance de certains concurrents, plus prompts à délocaliser leurs efforts vers des marchés en pleine effervescence.
Une Stratégie Ancrée dans le Local
Pourquoi ce choix ? La réponse tient en partie dans une vision stratégique fine. Arkema ne se contente pas de suivre les courants : elle adapte ses investissements aux réalités de chaque région. En Europe, et surtout en France, le groupe privilégie des projets tournés vers les **exigences réglementaires** et la **transition écologique**. À Carling, en Moselle, par exemple, 130 millions d’euros sont injectés pour réduire l’empreinte carbone des monomères acryliques. À Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, des dizaines de millions ont déjà permis d’adapter les infrastructures aux normes environnementales.
Cette approche contraste avec les ambitions capacitives déployées ailleurs. Aux États-Unis, comme à Calvert City, ou en Asie, Arkema dope ses usines pour répondre à une demande croissante, notamment dans les batteries pour véhicules électriques. En Europe, il s’agit moins d’expansion brute que d’optimisation et de pérennité. Un choix qui reflète une volonté de **servir localement** tout en s’inscrivant dans une logique globale.
« Nous ajustons nos efforts pays par pays, ligne par ligne, en fonction de la demande. Ce n’est pas une bataille entre continents. »
– Thierry Le Hénaff, PDG d’Arkema
Décarbonation : Le Fer de Lance Européen
Si l’Europe reste un pilier, c’est aussi parce qu’elle impose des standards environnementaux parmi les plus stricts au monde. Pour Arkema, répondre à ces défis n’est pas une contrainte, mais une opportunité. La **décarbonation**, mot-clé de cette décennie, guide une large part des investissements européens. Prenons l’exemple de Carling : ce projet ambitieux ne se limite pas à une réduction des émissions. Il s’agit de repenser les processus pour les rendre plus durables, tout en maintenant la compétitivité.
À Serquigny, dans l’Eure, un autre chantier illustre cette dynamique. Là, Arkema booste sa production de Pebax, un matériau élastomère prisé pour ses applications high-tech. Ce projet, bien que modeste comparé aux méga-usines asiatiques, montre que l’innovation n’a pas déserté le continent. Ces initiatives s’inscrivent dans une logique plus large : faire de l’Europe un laboratoire de la **chimie verte**.
Un Rééquilibrage Géographique Calculé
Ne nous y trompons pas : si l’Europe conserve une place de choix, elle n’est plus le centre exclusif des ambitions d’Arkema. Depuis des années, le groupe travaille à répartir ses forces entre les trois grands continents. Pourquoi ? Pour coller aux dynamiques de chaque marché. En Asie, la croissance démographique et industrielle tire la demande. En Amérique du Nord, les besoins en PVDF pour les batteries électriques explosent. L’Europe, elle, mise sur son savoir-faire technologique et ses clients historiques.
Ce rééquilibrage ne signifie pas un abandon. Au contraire, il permet à Arkema de rester flexible. « Nous avons de très beaux clients européens, et nous continuerons à les servir », insiste Thierry Le Hénaff. Une manière de rappeler que l’héritage français du groupe – avec son siège et la majorité de ses sites industriels en Europe – reste un atout stratégique.
2024 : Un Rebond Modeste mais Prometteur
Après une année 2023 en demi-teinte, marquée par un repli en Europe, Arkema a repris des couleurs en 2024. Le chiffre d’affaires atteint 9,54 milliards d’euros, en légère hausse de 0,3%. Derrière ce chiffre discret se cache une réalité plus encourageante : l’**Ebitda** grimpe de 2,1%, flirtant avec une marge de 16,1%. Ce regain, porté par les matériaux de spécialités en Asie, montre que la stratégie globale du groupe commence à payer.
Mais tout n’est pas rose. Le résultat net courant chute de 5,7%, à 616 millions d’euros. Un recul qui rappelle les défis persistants en Europe : coûts élevés, demande atone, et restructurations délicates, comme à Jarrie, en Isère, où des coupes d’effectifs ont suivi l’arrêt des productions de sel de Vencorex. Malgré ces turbulences, Arkema tient bon et regarde vers 2025 avec optimisme.
Les Défis d’une Europe Chimique
Le tableau européen n’est pas sans ombres. Les coûts de l’énergie, bien plus élevés qu’en Asie ou aux États-Unis, pèsent sur la compétitivité. Ajoutez à cela une demande en berne et des réglementations toujours plus exigeantes, et vous obtenez un cocktail complexe. Pourtant, Arkema y voit une chance. En investissant dans des technologies de pointe et des process décarbonés, le groupe veut transformer ces contraintes en leviers d’avenir.
Quelques chiffres pour illustrer :
- 130 millions d’euros à Carling pour la décarbonation.
- 20 millions de dollars à Calvert City pour le PVDF.
- 40% des investissements totaux en Europe.
L’Innovation comme Moteur
L’un des atouts majeurs de l’Europe, selon Arkema, réside dans son potentiel technologique. Le site de Serquigny en est une preuve : produire du Pebax, c’est miser sur des matériaux à haute valeur ajoutée, prisés dans des secteurs comme la santé ou le sport. Cette capacité à innover permet à Arkema de se démarquer, même face à des concurrents asiatiques aux coûts plus bas.
Et ce n’est pas tout. En rejoignant des projets comme Tiamat, aux côtés de Stellantis et MBDA, Arkema explore les batteries de nouvelle génération. Une manière de lier **innovation chimique** et besoins du futur, tout en renforçant sa présence en Europe.
Et Après ? Un Avenir à Dessiner
Alors, que réserve 2025 à Arkema ? Si les grandes annonces capacitaires resteront probablement tournées vers l’Asie et l’Amérique, l’Europe ne sera pas en reste. Les projets de décarbonation, comme celui de Carling, devraient s’intensifier. Et avec une conjoncture qui pourrait s’améliorer, le groupe a toutes les cartes en main pour consolider sa place de leader.
Une chose est sûre : en maintenant 40% de ses investissements en Europe, Arkema envoie un message fort. Loin de déserter, elle adapte, innove et prépare le terrain pour une chimie plus durable. Reste à voir si ce pari, audacieux à bien des égards, portera ses fruits sur le long terme.