Canada : Quel avenir pour l’IA malgré une compétition féroce ?
L'année 2024 aura été marquée par la consécration de l'informaticien britannico-canadien Geoffrey Hinton, co-récipiendaire du Prix Nobel de Physique pour ses travaux fondateurs en intelligence artificielle (IA). Une belle reconnaissance du rôle précurseur joué par le Canada et ses chercheurs dans l'avènement de cette technologie. Pourtant, dans le même temps, le pays semble peiner à trouver sa juste place au sein d'une compétition mondiale de plus en plus intense, où les acteurs les plus riches sont prêts à toutes les surenchères pour dominer le secteur. Le Canada a-t-il les moyens de ses ambitions ?
Un écosystème IA dynamique mais sous-dimensionné
S'il ne fait aucun doute que le Canada regorge de talents et d'expertises en matière d'IA, force est de constater que les investissements restent en-deçà de ceux consentis par les géants étrangers. Selon un rapport de Goldman Sachs, ces derniers pourraient dépenser collectivement jusqu'à 1000 milliards de dollars dans l'IA au cours des 5 prochaines années.
Certes, le pays compte quelques belles réussites comme Tenstorrent (puces IA) qui a levé près de 700 millions USD cette année, Cohere (grands modèles de langage) et ses 500 millions USD ou encore Waabi (conduite autonome) et ses 275 millions CAD. De son côté, le fonds spécialisé Radical Ventures a réuni 800 millions USD. Mais cela reste modeste en comparaison des sommes en jeu outre-Atlantique...
Quelle stratégie pour le Canada ?
Dès 2017, le Canada fut l'un des premiers pays à se doter d'une stratégie nationale IA. Mais depuis, le paysage a considérablement évolué, notamment avec l'arrivée fracassante de l'IA générative grand public type ChatGPT. Le gouvernement a certes promis plusieurs milliards en faveur du calcul IA, de l'adoption de la technologie par les entreprises ou encore du soutien aux instituts de recherche. Mais beaucoup s'interrogent sur la cohérence de ces investissements épars.
Le gouvernement doit identifier quelques domaines critiques et travailler avec les entreprises concernées pour les aider à se développer.
– Ben Bergen, Président du Conseil canadien des Innovateurs
De nombreux experts plaident pour une approche plus ciblée, en concentrant les efforts sur quelques créneaux porteurs où le Canada pourrait faire la différence, plutôt qu'en dispersant ses maigres ressources. Il s'agirait aussi d'être proactif et non de simplement réagir aux investissements américains.
Miser sur l'écosystème et les synergies
Plutôt que de vouloir tout miser sur un hypothétique "champion national", le Canada gagnerait sans doute à valoriser la richesse de son écosystème en favorisant les collaborations entre chercheurs, startups et grandes entreprises. C'est ce qui a fait la force de pôles comme Montréal ou Toronto. Certains regrettent par exemple que le nouveau centre de données de Cohere soit construit en partenariat avec l'Américain CoreWeave et utilise des puces de Nvidia plutôt que de s'appuyer sur des acteurs locaux...
Le pays doit aussi réfléchir à la manière de mieux ancrer son industrie IA sur son territoire. Car les entreprises prometteuses, faute de financements suffisants, finissent souvent par traverser la frontière, à l'image de Tenstorrent qui s'est récemment installé au sud pour accéder aux investisseurs US. Un risque qui guette même les plus ambitieuses comme Cohere, confrontée au rouleau compresseur OpenAI et son récent apport de 6,6 milliards USD...
Transformer l'essai de la recherche
Enfin, c'est sans doute dans sa capacité à transformer son leadership académique en impact économique et sociétal réel que se jouera l'avenir du Canada en matière d'IA. Nul doute que l'expertise et les travaux d'un Geoffrey Hinton constitueront longtemps un formidable moteur d'innovation. Encore faut-il réussir à en tirer parti sur le long terme. En identifiant mieux les domaines où appliquer en priorité ces technologies. En accompagnant les entreprises et administrations dans l'adoption de solutions concrètes. Et en formant massivement les talents nécessaires.
Pas simple pour un "petit" pays de s'imposer parmi les géants dans une compétition technologique dominée par la loi du plus fort. Mais en jouant collectif et en ciblant astucieusement ses efforts, le Canada a certainement de sérieux atouts à faire valoir pour rester durablement dans la course. L'avenir nous dira s'il a su saisir cette opportunité unique.
