
Coalition Tech Européenne Pousse pour une Souveraineté Numérique
Et si l’Europe décidait enfin de reprendre les rênes de son avenir numérique ? À l’heure où les tensions géopolitiques redessinent les alliances mondiales, une coalition inédite d’acteurs technologiques européens, réunissant plus de 80 signataires et près de 100 organisations, lance un cri d’alarme. Leur objectif : convaincre les décideurs de l’Union européenne d’adopter une stratégie audacieuse pour réduire la dépendance aux infrastructures digitales étrangères, souvent dominées par les géants américains. Dans une lettre ouverte adressée à Ursula von der Leyen et Henna Virkkunen, ces entreprises, allant des start-ups aux poids lourds comme Airbus, appellent à un virage radical : favoriser l’achat local pour bâtir une souveraineté numérique digne de ce nom.
Un Appel à l’Action pour une Europe Numérique Indépendante
Ce mouvement ne sort pas de nulle part. Il s’inscrit dans un contexte où les alertes sur la vulnérabilité numérique de l’Europe se multiplient. Entre les menaces d’un retrait brutal des services américains sous l’impulsion d’ordres exécutifs imprévisibles et les critiques acerbes de figures comme JD Vance, vice-président des États-Unis, l’heure est à la prise de conscience. La coalition propose une vision claire : développer un **"Euro Stack"**, une pile technologique 100 % européenne, capable de rivaliser avec les hyperscalers américains et de sécuriser l’avenir économique et stratégique du continent.
Pourquoi l’Europe Doit Réagir Maintenant
Imaginez un instant l’Europe privée de moteurs de recherche, de messageries ou de logiciels bureautiques. Une fiction ? Pas tant que ça. Wolfgang Oels, COO d’Ecosia, un moteur de recherche berlinois engagé, évoque un parallèle troublant : "Quelque chose de similaire est arrivé à l’Ukraine, quand des infrastructures vitales ont été coupées." La dépendance actuelle aux technologies étrangères expose le continent à des risques majeurs, surtout dans un monde où les États-Unis privilégient une politique "America First".
Le rapport Draghi de 2024 sur la compétitivité européenne a déjà sonné l’alarme : sans changement drastique, la croissance stagne, et l’innovation risque de s’étioler. La coalition va plus loin : elle prédit qu’en l’absence d’action immédiate, l’Europe pourrait perdre tout contrôle sur son infrastructure numérique d’ici trois ans. Une urgence qui ne peut plus attendre.
Notre dépendance aux technologies non européennes deviendra presque totale d’ici moins de trois ans si rien ne change.
– Extrait de la lettre ouverte de la coalition
Acheter Local : Une Solution Concrète
La proposition phare de la coalition ? Instaurer des **quotas d’achat européen** dans les marchés publics. Concrètement, une partie des besoins numériques des institutions publiques – cloud, logiciels, connectivité – devrait provenir de fournisseurs locaux. Cristina Caffarra, économiste de la concurrence et co-autrice d’un papier sur l’Euro Stack, qualifie cette mesure de "no-brainer" : "Les Américains achètent américain, les Chinois achètent chinois, pourquoi pas nous ?"
Ce n’est pas une question de protectionnisme aveugle, mais de pragmatisme. L’idée est de créer un cercle vertueux : garantir une demande stable pour les solutions européennes, encourager les investissements privés et permettre aux acteurs locaux de se développer. Des entreprises comme OVHCloud, Nextcloud ou Proton, déjà signataires, incarnent ce potentiel prêt à éclore.
Pour le secteur privé, des incitations comme des bons d’achat ou des subventions ciblées pourraient accélérer cette transition. "Il ne s’agit pas de sommes colossales", insiste Caffarra, soulignant que des montants modestes, bien orientés, suffiraient à changer la donne.
Fédérer pour Rivaliser
Face aux géants comme AWS ou Microsoft, l’Europe ne peut pas se contenter de solutions isolées. La coalition mise sur une stratégie de **pooling et fédération** : encourager les entreprises technologiques à collaborer, adopter des standards communs et mutualiser leurs ressources. Cela passe par un soutien accru aux solutions open source et à l’interopérabilité, deux leviers clés pour contrer les logiques propriétaires des hyperscalers.
Un exemple concret ? L’échec de Gaia-X, un projet de cloud européen lancé en 2020, saboté par l’entrée des géants américains qui en ont dilué l’ambition initiale. Cette fois, la coalition veut éviter ce piège en priorisant des projets ciblés : autonomie hardware, cloud souverain, plateformes sécurisées. Une approche collaborative qui pourrait transformer les petites pépites européennes en acteurs globaux.
Un Fonds pour l’Avenir
Pour financer cette révolution, la coalition propose la création d’un **Fonds pour l’Infrastructure Souveraine**. Ce fonds, dédié aux investissements publics dans les technologies critiques – puces, calcul quantique, réseaux – ne nécessiterait pas des milliards astronomiques. "Des montants raisonnables, bien ciblés, peuvent faire la différence", assure Caffarra, citant l’exemple du soutien aux logiciels open source, un domaine où l’Europe excelle déjà.
Frank Karlitschek, PDG de Nextcloud, va dans le même sens : "Changer les règles d’achat pour exiger 50 à 80 % de solutions open source dans les infrastructures critiques ne coûterait rien aux contribuables, mais déclencherait une vague d’innovation." Une opportunité à saisir pour les start-ups et PME européennes.
Repenser le Leadership Européen
Si l’Union européenne parle de souveraineté numérique depuis des années, ses efforts restent dispersés. Trop de fonds sont engloutis dans des projets académiques ou expérimentaux, loin des réalités du marché. La coalition appelle à un changement de cap : laisser l’industrie piloter cette transformation, avec la Commission dans un rôle de facilitateur plutôt que de décideur omnipotent.
La Commission doit mobiliser l’industrie pour transformer son ambition en actions concrètes.
– Proposition de la coalition dans la lettre ouverte
Any Yen, fondateur de Proton, critique une approche dépassée : "L’Europe privilégie le passé au détriment de l’avenir." Pour lui, écouter les entrepreneurs qui portent cette vision depuis des décennies est une nécessité vitale.
Les Voix de l’Industrie
Les signataires de la lettre – des noms comme Airbus, Dassault Systèmes, Cleura ou Element – représentent un éventail large : cloud, télécoms, défense, logiciels open source. Johan Christenson, ex-fondateur de Cleura, compare cette initiative à la création d’Airbus : "Les changements nécessaires sont si profonds qu’il faut un projet d’envergure continentale."
Karlitschek, de Nextcloud, insiste sur les standards : "Des API comme SECA permettent aux fournisseurs européens de former un réseau scalable." Une mutualisation qui pourrait séduire tant les administrations que les grandes entreprises.
Un Tournant Historique ?
Ce projet d’Euro Stack n’est pas une utopie. Il s’appuie sur des forces existantes : un écosystème open source robuste, des start-ups dynamiques, une prise de conscience croissante des enjeux géopolitiques. Mais il exige un basculement mental. Comme le résume Yen : "Penser ‘Europe d’abord’ a longtemps été tabou, mais c’est une question de survie."
Les bénéfices potentiels sont immenses : création d’emplois, résilience accrue, leadership technologique. Reste à savoir si les dirigeants européens saisiront cette chance ou laisseront filer une opportunité historique.
Les Défis à Relever
Le chemin ne sera pas sans embûches. Certains craignent une réticence des investisseurs, habitués à viser des exits vers les géants américains. D’autres pointent les limites du Digital Markets Act (DMA), qui, malgré ses ambitions, n’a pas encore ébranlé la domination des hyperscalers. "Le marché reste inchangé un an après", déplore Yen.
Pourtant, des signaux positifs émergent. L’Allemagne, par exemple, commence à orienter ses contrats publics vers des solutions open source. Une tendance que la coalition veut voir s’amplifier à l’échelle du continent.
Vers une Renaissance Numérique Européenne
L’Euro Stack pourrait-il marquer le début d’une renaissance numérique pour l’Europe ? En misant sur ses atouts – créativité, collaboration, valeurs d’ouverture – le continent a les cartes en main pour se réinventer. Mais le temps presse. Comme le souligne Caffarra, "presque toute notre infrastructure technologique est hors de notre contrôle". Une réalité qui appelle une réponse immédiate.
En résumé, la coalition propose une feuille de route ambitieuse :
- Instaurer des quotas d’achat européen pour les marchés publics.
- Soutenir la fédération des acteurs technologiques via des standards communs.
- Créer un fonds dédié aux infrastructures souveraines.
- Repenser le rôle de la Commission pour un leadership industriel.
Le message est clair : l’Europe doit agir, et vite. À elle de choisir entre subir ou façonner son avenir numérique.