
Énergie Hydroélectrique : Une Révolution en Vue ?
Imaginez un instant : les barrages hydroélectriques français, ces géants d’acier et de béton qui alimentent nos foyers en énergie propre, pourraient bientôt changer de mains. Depuis 2014, Bruxelles exerce une pression constante pour libéraliser ce secteur stratégique, menaçant un modèle énergétique que la France chérit depuis des décennies. Alors, comment concilier souveraineté énergétique et exigences européennes ? Une mission parlementaire propose une piste audacieuse : un régime d’autorisation qui pourrait redéfinir l’avenir de l’hydroélectricité. Plongeons dans cette bataille où se croisent innovation, politique et enjeux environnementaux.
Hydroélectricité : Un Trésor National sous Pression
L’hydroélectricité représente 12 à 14 % de la production électrique française, un pilier de la transition énergétique. Avec 2640 ouvrages, dont 340 dépassant 4,5 MW, la France dispose d’une capacité installée de 26,2 GW, incluant les territoires d’outre-mer. Pourtant, ce secteur est sous tension. La Commission européenne, depuis 2014, demande une mise en concurrence des concessions hydroélectriques échues, critiquant la position dominante d’EDF, qui contrôle 70 % de la puissance nationale avec 425 ouvrages et 237 grands barrages.
Face à cette injonction, la France se trouve à un carrefour. Maintenir le statu quo bloque les investissements nécessaires pour moderniser les infrastructures et augmenter les capacités, notamment via les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Une mission parlementaire, lancée en septembre 2024, s’est penchée sur des solutions pour sortir de ce précontentieux tout en préservant les intérêts nationaux.
Pourquoi la Mise en Concurrence Inquiète
La mise en concurrence, imposée par la directive européenne de 2014, est perçue comme une menace pour la souveraineté énergétique. Les barrages, propriétés de l’État, sont exploités sous un régime de concessions, souvent par EDF et Engie via sa filiale CNR (Compagnie Nationale du Rhône). Cependant, 61 concessions seront échues d’ici fin 2025, et la moitié le seront dans les 15 prochaines années. En attendant, un régime de délais glissants proroge les contrats, mais interdit tout investissement d’envergure.
« La mise en concurrence est une ligne rouge. Nous devons protéger notre patrimoine énergétique et garantir la sécurité d’approvisionnement. »
– François Bayrou, Premier ministre
Cette situation paralyse le développement de l’hydroélectricité, essentielle pour stocker l’énergie renouvelable et répondre aux pics de consommation. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE3) ambitionne pourtant d’ajouter 2,8 GW de capacités hydrauliques d’ici 2035, dont 2,5 GW via des STEP. Sans solution, cet objectif risque de rester un vœu pieux.
Le Régime d’Autorisation : Une Solution Prometteuse ?
Pour sortir de l’impasse, la mission parlementaire, menée par Marie-Noëlle Battistel (députée socialiste) et Philippe Bolo (député Modem), a exploré plusieurs pistes. Parmi elles, la quasi-régie a été écartée, jugée trop complexe et risquant de désintégrer EDF en rompant les synergies entre ses parcs nucléaire et hydroélectrique. Une autre option, le régime d’autorisation, déjà en place pour les petits ouvrages de moins de 4,5 MW, a retenu l’attention.
Ce régime permettrait aux opérateurs, comme EDF ou la SHEM (filiale d’Engie), d’acquérir la propriété des barrages, mettant fin aux concessions. Cependant, cette solution soulève des questions. Quels ouvrages seraient concernés ? Comment évaluer leur valeur ? Et surtout, la Commission européenne validera-t-elle cette approche ?
Voici les avantages et défis du régime d’autorisation :
- Fin des contentieux avec Bruxelles en supprimant les concessions.
- Maintien de la propriété publique pour les ouvrages non vendus.
- Risques de requalification des ouvrages par l’UE.
- Complexité de la valorisation financière des barrages.
Pour concrétiser cette idée, les députés envisagent une loi spécifique, potentiellement votée d’ici l’été 2025. Mais les contours du projet restent flous, et son acceptation par Bruxelles incertaine.
Une Révision Européenne comme Plan B
Parallèlement, la mission parlementaire explore une voie plus ambitieuse : réviser la directive européenne sur les concessions pour exclure l’hydroélectricité, comme c’est le cas pour l’eau. Une résolution européenne, adoptée à l’unanimité le 30 avril 2025, pousse dans ce sens. Cependant, modifier une directive européenne est un processus long et incertain, qui pourrait prendre des années.
« Nous ne voulons pas engager un processus qui ne lèverait pas immédiatement les contentieux. »
– Marie-Noëlle Battistel, députée socialiste
Cette double approche – régime d’autorisation et révision européenne – reflète la complexité du dossier. Les députés cherchent à protéger un secteur stratégique tout en répondant aux exigences de l’UE, un équilibre délicat.
Vers un « Arenh Hydro » ?
Une autre idée émerge : un mécanisme inspiré de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui permettrait de partager l’hydroélectricité produite sur les marchés. Ce dispositif viserait à compenser la position dominante d’EDF tout en évitant une ouverture totale à la concurrence. Les contours restent à définir : s’agira-t-il de volumes d’eau ou d’électricité ? À quel prix ?
Les députés insistent pour éviter les erreurs de l’Arenh, critiqué pour son asymétrie et son manque de revalorisation. Ils veulent un mécanisme équitable, qui ne fragilise pas financièrement EDF, déjà mobilisé sur le nucléaire et les renouvelables.
Voici les principes directeurs envisagés :
- Équité pour tous les acteurs du marché.
- Protection financière d’EDF pour ses investissements.
- Partage des risques entre opérateurs et nouveaux entrants.
Les Acteurs du Changement
EDF, CNR et SHEM sont au cœur de ce débat. EDF, avec ses 425 ouvrages, est le principal acteur, mais sa position dominante est dans le viseur de Bruxelles. La CNR, qui gère le Rhône jusqu’en 2041, et la SHEM, active dans les Pyrénées et le Massif Central, jouent aussi un rôle clé. Ces opérateurs historiques plaident pour une solution qui préserve leurs spécificités tout en permettant des investissements.
Le syndicat CFE Energies met en garde contre une désintégration d’EDF, soulignant l’importance des synergies entre hydroélectricité et nucléaire. Une perte de contrôle sur les barrages pourrait compromettre la stabilité du réseau et les ambitions de la transition énergétique.
Les Défis à Venir
Le chemin vers une solution durable est semé d’embûches. Le régime d’autorisation, bien que prometteur, risque de ne pas satisfaire pleinement Bruxelles. La révision de la directive européenne, quant à elle, pourrait prendre des années. Enfin, le mécanisme de partage de l’hydroélectricité doit être finement calibré pour éviter de désavantager EDF ou de freiner les investissements.
Pour résumer, voici les enjeux clés :
- Protéger la souveraineté énergétique française.
- Répondre aux exigences européennes sans sacrifier les barrages.
- Permettre des investissements pour moderniser et développer l’hydroélectricité.
L’hydroélectricité française est à un tournant. Entre innovation réglementaire et négociations européennes, la France cherche à préserver un atout stratégique tout en s’adaptant à un cadre continental. La solution choisie façonnera non seulement l’avenir de ce secteur, mais aussi celui de la transition énergétique. Une chose est sûre : les prochains mois seront décisifs.