
Entreprendre à Montréal : Leçons de Géants
Imaginez-vous assis dans un amphithéâtre bondé de HEC Montréal, l’air chargé d’électricité créative. Six cents entrepreneurs, yeux rivés sur deux figures emblématiques de l’écosystème canadien. L’un dirige le géant du commerce en ligne qui propulse des millions de boutiques mondiales ; l’autre a transformé une passion pour le thé en une marque cotée en bourse. Et si le secret pour bâtir un empire résidait non pas à San Francisco, mais ici, au cœur du Québec ?
Montréal, Berceau Naturel d’Entrepreneurs Globaux
La métropole québécoise n’a pas attendu les géants de la Silicon Valley pour forger son destin entrepreneurial. Depuis les années 1950, des immigrants débarquent avec une idée, un peu d’audace et transforment des marchés entiers. Prenez l’exemple du grand-père de Harley Finkelstein : un stand d’œufs au marché Jean-Talon, toujours debout sept décennies plus tard, désormais boosté par la plateforme Shopify. Cette histoire n’est pas une exception, c’est la norme.
David Segal, co-fondateur de DavidsTea, va plus loin. Selon lui, les meilleurs concepts retail naissent à Montréal, pas à Toronto malgré sa puissance financière. La ville combine créativité débridée, multiculturalisme foisonnant et une résilience forgée par des hivers rigoureux. Résultat ? Une capacité unique à tester, itérer et scaler des idées qui résonnent mondialement.
Nous devons être des multiplicateurs de force pour Montréal. Il y a un héritage à honorer.
– Harley Finkelstein, président de Shopify
Cette phrase résume l’ambition collective. Loin de se contenter du statut quo, les leaders actuels veulent faire de Montréal la mecca de l’entrepreneuriat. Et ils ont les arguments pour y parvenir.
Un Écosystème Historiquement Gagnant
Remontons le fil. Le quartier Chabanel, autrefois épicentre de l’industrie du vêtement, abritait des centaines d’entreprises fondées par des immigrants. Ces pionniers exportaient déjà vers les États-Unis dans les années 60. Aujourd’hui, le même ADN pulse dans les startups deep tech, les fintechs et les plateformes SaaS qui lèvent des centaines de millions.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon Startup Genome, Montréal se classe parmi les 20 écosystèmes les plus performants mondialement pour le rapport coût-performance. Loyer abordable, talents bilingues issus de McGill et HEC, accès à des crédits d’impôt généreux : tout concourt à transformer une idée en licorne sans vider les caisses.
Mais attention : cet avantage compétitif ne durera que si la communauté reste mobilisée. C’est pourquoi des événements comme “Made in Montréal” prennent une importance stratégique. Organisé par TechTO avec La base entrepreneuriale HEC et Sage Canada, ce rassemblement vise à créer des connexions durables entre générations d’entrepreneurs.
Dire Non à la Pression de Relocalisation
Combien de fois avez-vous entendu : “Pour scaler, il faut absolument s’installer à San Francisco” ? Cette injonction revient comme un mantra chez certains investisseurs. Pourtant, Harley Finkelstein et David Segal démontent ce mythe avec des arguments béton.
Première réalité : la technologie abolit les frontières. Recruter un CTO à Berlin, une directrice marketing à Singapour ou un CFO à Toronto devient trivial grâce aux outils collaboratifs. Vendre ? Shopify gère déjà des transactions dans 175 pays. Pourquoi déménager quand le monde vient à vous ?
Vous n’avez pas besoin d’aller voir un VC local ou un ange local. Vous pouvez vivre où vous voulez et opérer à l’échelle que vous désirez.
– Harley Finkelstein
Deuxième réalité : le patriotisme entrepreneurial monte en flèche. Lors de Toronto Tech Week, Aidan Gomez de Cohere exhortait les fondateurs à refuser les investisseurs exigeant un déménagement. À ALL IN Montréal, des panels entiers de capital-risqueurs affirmaient que le Canada offrait le meilleur terrain pour bâtir durablement.
Cette vague “Buy Canadian” s’amplifie dans un contexte de guerre commerciale avec les États-Unis. Rester au pays devient un acte de résistance créative. Et les résultats suivent : Lightspeed, Nuvei, Hopper ont toutes scalé depuis le Québec sans siège social américain.
Firebelly Tea : Quand Deux Visionnaires Réinventent un Marché
Preuve vivante que l’on peut innover localement tout en pensant global : Firebelly Tea. Lancée en 2021 par Harley Finkelstein et David Segal, cette marque se positionne comme la compagnie de thé du 21e siècle. Exit les sachets bas de gamme ; place aux feuilles entières premium, aux accessoires design et à une expérience client irréprochable.
Le produit phare ? Un autowhisk que Segal peaufine depuis des années. Cet outil électrique reproduit le geste ancestral du fouet en bambou japonais, mais avec une précision technologique. Résultat : une mousse parfaite en quelques secondes, digne des meilleurs baristas.
Derrière l’objet, une philosophie : marier héritage et modernité. Les thés proviennent de petits producteurs éthiques ; l’emballage est 100 % compostable ; la boutique en ligne tourne évidemment sur Shopify. En deux ans, Firebelly Tea s’est imposée auprès des millennials et Gen Z qui recherchent authenticité et qualité.
Cette success story illustre parfaitement le mantra du duo : build from anywhere, sell to everyone. Pas besoin de flagship store à Manhattan quand Instagram et TikTok font le travail de visibilité. La preuve que le retail physique n’est plus une barrière à l’entrée.
SR&ED : Le Trésor Mal Exploité des Startups Canadiennes
Passons à un sujet brûlant : le crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental, mieux connu sous l’acronyme SR&ED. Ce programme fédéral injecte annuellement 4,7 milliards de dollars dans l’innovation canadienne. Pourtant, une part colossale finit… dans les poches de consultants.
Harley Finkelstein ne mâche pas ses mots. Selon lui, les frais de consultation phagocytent jusqu’à 30 % des crédits alloués. Des cabinets spécialisés facturent des honoraires exorbitants pour remplir des formulaires complexes, laissant les entrepreneurs avec des miettes. Intolérable quand on sait que chaque dollar compte en phase de démarrage.
Sa solution ? Une réforme radicale déposée directement au ministre des Finances François-Philippe Champagne. Objectif : simplifier les démarches, digitaliser les demandes et éliminer les intermédiaires. Finkelstein rapporte un changement d’attitude gouvernemental inédit ces six derniers mois.
J’ai ressenti plus d’engagement ces six mois que durant les seize dernières années vis-à-vis du gouvernement.
– Harley Finkelstein
Concrètement, le budget à venir devrait réintroduire les dépenses en capital dans les claims éligibles et accorder le taux préférentiel aux sociétés publiques. Des mesures qui pourraient libérer des centaines de millions directement aux entreprises innovantes.
Pour les startups en early stage, l’impact serait immédiat. Imaginez pouvoir embaucher deux développeurs supplémentaires ou financer un prototype sans diluer votre capital. C’est exactement ce type de levier qui transforme une PME locale en championne mondiale.
Culture d’Entreprise : Ce Qui Se Passe Quand Personne Ne Regarde
Si la localisation et les subventions comptent, rien ne remplace une culture d’entreprise solide. Harley Finkelstein insiste : ce qui distingue une organisation, c’est son comportement quand personne ne regarde. Chez Shopify, la recette secrète ? Recruter des fondateurs pour diriger chaque ligne de produit.
Exemple concret : les responsables des différentes verticales (paiements, logistique, marketing) sont souvent des entrepreneurs acquis ou intégrés. Ces profils apportent une mentalité de propriétaire, une obsession client et une capacité à prendre des risques calculés. Résultat : une agilité qui défie la taille de l’entreprise.
David Segal complète pour les marques grand public. Dans le retail, les employés en contact client doivent être habilités à créer des moments magiques. Chez DavidsTea, un barista pouvait offrir un thé gratuit à un client mécontent sans demander l’autorisation. Cette liberté forge la loyauté.
Nul n’est gardien de la culture d’une entreprise comme ses fondateurs. Aucun consultant McKinsey ne se souciera plus de Shopify que Tobi et moi.
– Harley Finkelstein
La leçon ? Ne confondez jamais vos valeurs (immuables) et vos méthodes (évolutives). Une marque peut passer du physique au digital, adopter l’IA ou lesiller des NFT, tant que son ADN reste intact. C’est cette cohérence qui crée des clients évangélistes.
Les Ingrédients d’une Culture Gagnante
- Recruter des profils avec une attitude “give-a-shit” : passion avant CV.
- Donner de l’autonomie dès le premier jour, surtout en contact client.
- Maintenir les fondateurs aux commandes le plus longtemps possible.
- Mettre en place des rituels simples : all-hands hebdomadaires, retrospectives mensuelles.
- Célébrer les échecs rapides autant que les victoires.
Ces pratiques ne coûtent rien mais rapportent tout. Elles transforment une équipe en communauté, un produit en mouvement. Et dans un monde où l’attention est la ressource la plus rare, une culture authentique devient un avantage compétitif décisif.
Montréal 2030 : Vision d’un Écosystème Incontournable
Revenons à l’ambition initiale : faire de Montréal la destination numéro un pour les entrepreneurs ambitieux. Quelles étapes concrètes pour y parvenir ? Les deux conférenciers dessinent une feuille de route claire.
D’abord, renforcer les ponts intergénérationnels. Les success stories comme Couche-Tard, Bombardier ou CAE doivent inspirer les nouvelles pousses. Des programmes de mentorat inversé, où les jeunes enseignent le digital aux vétérans, pourraient créer des synergies explosives.
Ensuite, densifier le capital local. Si les fonds américains restent bienvenus, développer des véhicules d’investissement québécois (comme le nouveau fonds de 200 millions d’Investissement Québec) garantit un alignement d’intérêts à long terme. Pas de pression pour déménager, des horizons de sortie variés.
Troisièmement, célébrer les échecs. La culture canadienne reste trop averse au risque. Créer des “fuck-up nights” mensuelles où les entrepreneurs partagent leurs plantages les plus spectaculaires normaliserait l’apprentissage par l’erreur. Essentiel pour innover vraiment.
Enfin, exporter le modèle montréalais. Pourquoi ne pas organiser des “Montréal Tech Weeks” à New York, Londres ou Dubaï ? Montrer au monde que l’on peut bâtir des licornes avec des hivers à -30°C et une poutine entre deux pitchs.
Leçons Actionnables pour Tout Fondateur
Vous êtes assis devant votre ordinateur, idée en tête, mais paralysé par la peur de l’échec ou la pression de partir. Voici ce que Finkelstein et Segal vous diraient :
- Commencez petit, validez localement, scalez globalement.
- Entourez-vous de cofondateurs qui complètent vos faiblesses.
- Maîtrisez vos métriques dès le jour 1 : CAC, LTV, churn.
- Utilisez les crédits SR&ED comme un investissement, pas un bonus.
- Construisez une marque qui raconte une histoire, pas qui vend un produit.
- Restez au Canada. Le monde viendra à vous.
Ces conseils ne sont pas théoriques. Ils ont permis à Shopify de passer de 5 à 10 000 employés, à DavidsTea d’ouvrir 200 boutiques, à Firebelly Tea de disrupter un marché millénaire. Preuve que la géographie n’est plus une fatalité.
La soirée “Made in Montréal” s’est terminée sur une note d’optimisme contagieux. Six cents entrepreneurs repartent avec des connexions, des idées et surtout une certitude : le prochain Shopify ou DavidsTea pourrait naître dans un café de la rue Saint-Denis. Et vous, quand lancez-vous ?
Cette rencontre illustre une vérité profonde : l’entrepreneuriat canadien entre dans une nouvelle ère. Moins complexé, plus collaboratif, résolument tourné vers l’impact global. Montréal n’est plus une étape, c’est une destination. Et l’avenir s’écrit en français, en anglais, en code et en thé premium.