
Gabon Interdit l’Exportation de Manganèse Brut en 2029
Et si un pays africain décidait de bouleverser les règles du commerce mondial des minerais ? Le 30 mai 2025, le président gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema a annoncé une décision audacieuse : interdire l’exportation de manganèse brut à partir de 2029. Cette mesure, visant à favoriser la transformation locale, place le géant minier français Eramet, exploitant de la plus grande mine de manganèse au monde à Moanda, face à un défi de taille. Quelles sont les implications de cette stratégie pour le Gabon, pour Eramet, et pour l’industrie mondiale ?
Une Révolution Industrielle en Marche au Gabon
Le Gabon, deuxième producteur mondial de manganèse, ne veut plus se contenter d’exporter des minerais bruts. Cette ressource, essentielle pour la production d’acier et de plus en plus prisée pour les batteries de véhicules électriques, représente une opportunité majeure pour transformer l’économie nationale. En imposant cette interdiction, le gouvernement gabonais ambitionne de développer une industrie de transformation locale, de créer des emplois qualifiés et d’augmenter les recettes fiscales.
Cette décision s’inscrit dans une tendance plus large observée en Afrique. Des pays comme la Guinée avec la bauxite, le Zimbabwe avec le lithium ou encore le Mali avec l’or adoptent des politiques similaires pour maximiser la valeur ajoutée de leurs ressources. Mais pour le Gabon, le pari est ambitieux : transformer localement des millions de tonnes de manganèse extraites chaque année demande des investissements colossaux et une infrastructure robuste.
Eramet : Un Géant Minier sous Pression
Eramet, via sa filiale Comilog, domine l’exploitation du manganèse au Gabon. La mine de Moanda, véritable poumon économique du pays, fournit environ 15 % de la production mondiale. En 2024, Eramet a extrait 6,8 millions de tonnes de minerai, dont la majorité est exportée, principalement vers la Chine. Seule une fraction, environ 17 %, est transformée localement dans des usines comme le complexe métallurgique de Moanda (CMM).
Nous continuerons de travailler avec l’État gabonais dans un esprit de partenariat constructif et de respect mutuel.
– Communiqué officiel d’Eramet, 2 juin 2025
Face à l’annonce, Eramet a réagi avec prudence, soulignant son engagement à préserver les 10 460 emplois directs et indirects générés par ses activités au Gabon. Mais l’entreprise fait face à un dilemme : investir massivement dans des infrastructures de transformation locale ou risquer de perdre une part stratégique de son activité. Les analystes estiment que construire des usines capables de traiter l’ensemble du minerai extrait pourrait coûter plus de 5 milliards d’euros, un investissement jugé peu réaliste à court terme.
Les Défis de la Transformation Locale
Transformer du manganèse brut en alliages comme le ferro-manganèse ou le silico-manganèse nécessite des installations complexes, une énergie abondante et des infrastructures de transport fiables. Or, le Gabon fait face à des contraintes majeures :
- Manque d’électricité compétitive : Les usines métallurgiques consomment énormément d’énergie, et le Gabon manque d’une infrastructure énergétique bas-carbone suffisante.
- Logistique limitée : Les problèmes récents au port d’Owendo, signalés par Eramet dès fin 2024, montrent les faiblesses du réseau de transport gabonais.
- Coûts prohibitifs : Construire des capacités de raffinage à grande échelle représente un investissement colossal, avec une rentabilité incertaine.
Pour surmonter ces obstacles, le gouvernement gabonais propose la création d’un fonds d’investissement public-privé dédié à la transformation industrielle. Ce fonds pourrait attirer des partenaires internationaux, mais son succès dépendra de la capacité du pays à renforcer ses infrastructures.
Un Contexte Géopolitique et Économique Tendu
Le président Brice Clotaire Oligui Nguema, arrivé au pouvoir après un coup d’État en 2023 et largement élu en avril 2025, mise sur cette réforme pour redynamiser une économie marquée par des inégalités criantes. Malgré la richesse générée par le manganèse, le pétrole et le bois, un tiers des 2,3 millions de Gabonais vit sous le seuil de pauvreté. Cette interdiction s’inscrit dans une volonté de rompre avec une économie de rente et de promouvoir un développement durable.
Pour Eramet, les enjeux sont doubles : maintenir sa position de leader mondial tout en répondant aux attentes du gouvernement gabonais. L’entreprise a déjà démontré une capacité d’adaptation ailleurs, notamment en Indonésie, où elle a investi dans la transformation locale du nickel après une interdiction similaire d’exportation de minerais bruts.
Impacts sur le Marché Mondial
Le manganèse est un métal stratégique, utilisé à 90 % dans la production d’acier et de plus en plus dans les batteries pour véhicules électriques. Une perturbation de l’approvisionnement en manganèse gabonais pourrait affecter les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment en Chine, principal client d’Eramet. Voici les principaux impacts potentiels :
- Hausse des prix : Une réduction de l’offre de manganèse brut pourrait faire grimper les coûts pour les sidérurgistes.
- Redistribution des flux : D’autres producteurs, comme l’Afrique du Sud ou l’Australie, pourraient combler le vide, mais au prix d’une reconfiguration des marchés.
- Innovation technologique : La nécessité de transformer localement pourrait stimuler le développement de nouvelles technologies de raffinage.
Pour les sidérurgistes, cette décision pourrait également accélérer la recherche d’alternatives, comme le recyclage de manganèse ou l’utilisation de substituts dans certains alliages.
Les Leçons des Autres Pays Africains
Le Gabon n’est pas seul dans cette démarche. D’autres nations africaines ont adopté des stratégies similaires pour valoriser leurs ressources :
Guinée : En imposant des restrictions sur l’exportation de bauxite, le pays a attiré des investissements chinois dans des raffineries d’alumine.
Zimbabwe : L’interdiction d’exporter du lithium brut a poussé des entreprises à développer des usines de traitement local.
Mali : Les récentes réformes minières visent à maximiser la transformation de l’or sur place, bien que les défis logistiques persistent.
Ces exemples montrent que si le modèle peut fonctionner, il exige une planification rigoureuse et des partenariats solides. Le Gabon devra apprendre de ces expériences pour éviter les écueils.
Quel Avenir pour Eramet au Gabon ?
Eramet se trouve à un tournant. L’entreprise, présente au Gabon depuis plus de 30 ans, a déjà investi dans des infrastructures comme le complexe métallurgique de Moanda et la voie ferrée exploitée par sa filiale Setrag. Mais pour répondre aux exigences du gouvernement, elle devra aller plus loin. Parmi les options possibles :
- Investissements massifs : Développer de nouvelles usines de transformation pour traiter l’ensemble du manganèse extrait.
- Partenariats stratégiques : Collaborer avec des investisseurs étrangers pour partager les coûts et les risques.
- Négociations fiscales : Proposer une augmentation des contributions au budget gabonais pour maintenir une partie des exportations.
La chute de 5,5 % du cours de l’action d’Eramet après l’annonce montre l’inquiétude des investisseurs. Cependant, la stabilisation rapide du titre suggère une certaine confiance dans la capacité de l’entreprise à s’adapter.
Une Opportunité pour l’Innovation
Et si cette contrainte devenait une opportunité ? Pour Eramet, l’obligation de transformer localement pourrait stimuler l’innovation. Développer des procédés de raffinage plus efficaces ou moins énergivores pourrait donner à l’entreprise un avantage concurrentiel. De plus, le Gabon pourrait devenir un hub régional pour la transformation du manganèse, attirant d’autres acteurs de l’industrie.
Cette décision marque un changement majeur dans la stratégie des ressources africaines, visant à capturer plus de valeur localement.
– Analyse du Rio Times, 3 juin 2025
En parallèle, le gouvernement gabonais pourrait tirer parti de cette transition pour former une main-d’œuvre qualifiée, renforçant ainsi l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers.
Conclusion : Un Pari Audacieux
L’interdiction de l’exportation de manganèse brut par le Gabon à partir de 2029 est un pari audacieux, mais semé d’embûches. Pour Eramet, c’est un défi qui pourrait redéfinir son modèle économique. Pour le Gabon, c’est une chance de bâtir une industrie durable et de réduire la pauvreté. Reste à savoir si les infrastructures et les investissements suivront pour transformer cette vision en réalité.
Ce tournant stratégique illustre une vérité universelle : dans un monde où les ressources naturelles sont de plus en plus convoitées, les pays producteurs cherchent à en tirer le maximum de valeur. Le Gabon, avec son manganèse, pourrait bien devenir un modèle pour l’Afrique… ou un avertissement.