
Luca De Meo : Défis Et Vision Chez Kering
Un Italien audacieux, un géant du luxe en difficulté, et une transition qui secoue deux industries : l’arrivée de Luca De Meo chez Kering, annoncée en juin 2025, est bien plus qu’un simple changement de poste. Après avoir orchestré une renaissance spectaculaire chez Renault, cet homme de 58 ans, connu pour son charisme et sa vision stratégique, s’attaque à un défi colossal : redonner ses lettres de noblesse à Kering, un groupe plombé par la chute de Gucci et une dette de plus de 10 milliards d’euros. Mais peut-on vraiment transposer les recettes de l’automobile au monde capricieux du luxe ?
Un Nouveau Chapitre pour Kering
Luca De Meo, diplômé de la prestigieuse université Bocconi, n’est pas un novice en matière de redressement d’entreprises. Chez Renault, il a transformé une entreprise au bord du gouffre en un acteur clé de la mobilité électrique. Aujourd’hui, il prend les rênes de Kering, un groupe en pleine tempête, avec pour mission de relancer des marques emblématiques comme Gucci, Yves Saint Laurent, et Balenciaga. Mais le luxe, avec ses codes uniques et ses attentes élevées, est un terrain bien différent de l’automobile.
Le Défi Majeur : Relancer Gucci
Gucci, qui représente près de la moitié des revenus de Kering, est au cœur des préoccupations. Après avoir atteint un pic de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, la marque a vu ses ventes chuter de 23 % en 2024, revenant à des niveaux comparables à ceux de 2020. Ce déclin s’explique par une perte d’identité, marquée par des changements fréquents de directeurs artistiques. En mars 2025, Demna, anciennement chez Balenciaga, a pris les rênes créatives de Gucci, mais la marque peine encore à reconquérir ses clients.
Gucci doit redevenir une icône, pas seulement une marque. Il faut une vision claire et une exécution sans faille.
– Thomas Chauvet, analyste chez Citi
Pour De Meo, la priorité sera de redéfinir l’identité de Gucci tout en attirant une clientèle plus stable, notamment les consommateurs plus âgés, moins volatils que la Gen Z et les jeunes millennials, qui représentent un tiers des ventes. Cela implique une stratégie de marketing audacieuse, un repositionnement des collections, et une meilleure cohérence créative.
Naviguer dans un Marché du Luxe en Crise
Le secteur du luxe traverse une période tumultueuse. Depuis 2023, la consommation chinoise, moteur historique du marché, est en berne. Les droits de douane américains, qui menacent les exportations européennes, compliquent encore la donne. Kering, avec une dette de 10,5 milliards d’euros en 2024, doit également rationaliser ses coûts tout en investissant dans l’innovation. De Meo devra jongler entre ces impératifs financiers et la nécessité de préserver l’aura d’exclusivité des marques du groupe.
Son expérience chez Renault, où il a réduit les effectifs de 15 000 postes pour redresser les finances, pourrait être un atout. Cependant, le luxe exige une approche plus nuancée, où l’émotion et l’esthétique priment sur la rationalisation industrielle. Sa capacité à comprendre ces subtilités sera cruciale.
Un Profil International pour un Groupe Italien
Né à Milan, Luca De Meo connaît bien l’Italie, où Kering concentre l’essentiel de ses activités industrielles, notamment un centre logistique de 160 000 m² à Trecate et un laboratoire de recherche sur les matériaux durables à Milan. Cette proximité culturelle pourrait faciliter son intégration et ses relations avec les équipes locales, notamment chez Gucci et Bottega Veneta, deux maisons italiennes emblématiques du groupe.
Un Italien à la tête de Kering, c’est un signal fort. Il parlera aux équipes locales avec une sensibilité culturelle unique.
– Source anonyme proche du dossier
Son parcours polyglotte – il maîtrise cinq langues – et son expérience chez Seat, Fiat, et Volkswagen renforcent son profil de leader international. Chez Renault, il a repositionné des marques comme Alpine, prouvant sa capacité à respecter l’héritage tout en innovant. Cette approche pourrait s’avérer précieuse pour redonner du lustre à Gucci sans trahir son ADN.
Une Dette Colossale à Gérer
Avec une dette de 10,5 milliards d’euros, Kering est sous pression. Les acquisitions passées, comme celle de Valentino, ont alourdi le bilan. De Meo devra trouver un équilibre entre réduction de l’endettement et investissements stratégiques pour relancer la croissance. Voici les priorités financières qu’il devra adresser :
- Rationaliser les coûts sans compromettre la qualité des produits.
- Renégocier les termes de la dette pour alléger les charges financières.
- Optimiser la gestion des 10 marques du groupe pour réduire les inefficacités.
Les analystes estiment qu’une discipline budgétaire rigoureuse pourrait porter les marges opérationnelles de Kering de 17 % à 24 % d’ici trois ans, un objectif ambitieux mais réalisable si De Meo applique son savoir-faire en gestion.
Un Outsider dans le Luxe : Risque ou Opportunité ?
L’arrivée d’un ancien patron de l’automobile dans le luxe suscite des débats. Certains y voient un risque, arguant que le secteur repose sur l’émotion et l’exclusivité, des notions éloignées des tableurs Excel et des chaînes de production. D’autres, au contraire, saluent cette perspective extérieure, capable d’apporter un vent de fraîcheur.
Chez Renault, De Meo a démontré une capacité à marier héritage et modernité, comme avec le lancement de la Renault 5 électrique, un clin d’œil nostalgique modernisé. Cette aptitude pourrait aider Gucci à retrouver son éclat tout en s’adaptant aux attentes contemporaines, comme la durabilité et la digitalisation.
Le luxe a besoin d’innovation, pas seulement de tradition. De Meo pourrait être le catalyseur dont Kering a besoin.
– Luca Solca, analyste chez Bernstein
Les Enjeux Internationaux
Le commerce international pose un autre défi. La baisse de la demande en Chine, où le luxe a longtemps prospéré, oblige Kering à diversifier ses marchés. Les États-Unis, initialement vus comme un relais de croissance, sont désormais menacés par des tarifs douaniers. De Meo devra explorer de nouveaux marchés, comme l’Inde ou l’Asie du Sud-Est, tout en renforçant la présence digitale de Kering, un domaine où le groupe accuse un retard face à LVMH.
Pour y parvenir, il pourrait s’appuyer sur son expertise en transformation numérique, acquise chez Renault, où il a misé sur des partenariats technologiques et une approche data-driven. Appliquer ces principes au luxe pourrait révolutionner la manière dont Kering interagit avec ses clients.
Une Transition sous Haute Tension
La nomination de De Meo s’inscrit dans une volonté de François-Henri Pinault de séparer les rôles de président et de directeur général, une décision mûrie depuis 2023. Ce choix reflète une stratégie de gouvernance plus moderne, mais il place De Meo sous une pression immense. Il devra collaborer avec des figures clés comme Francesca Bellettini, directrice générale adjointe, et Jean-Marc Duplaix, tout en apaisant les tensions internes au sein d’un groupe en pleine restructuration.
Le marché a réagi positivement à son arrivée, avec une hausse de 12 % du titre Kering en une journée. Cependant, les investisseurs restent prudents, conscients que les résultats ne seront pas immédiats. Voici un aperçu des attentes à court terme :
- Stabilisation des ventes de Gucci d’ici fin 2025.
- Renforcement de l’identité de marque de Yves Saint Laurent.
- Amélioration de la rentabilité globale du groupe.
Un Pari sur l’Innovation
Le parcours de Luca De Meo illustre une vérité universelle : l’innovation transcende les secteurs. Qu’il s’agisse de relancer une marque automobile ou de redynamiser un géant du luxe, les principes restent similaires : vision stratégique, compréhension des marques, et audace. Son succès chez Kering pourrait redéfinir la manière dont les transitions professionnelles sont perçues, prouvant que les compétences d’un leader visionnaire peuvent s’appliquer partout.
Pour mieux comprendre l’ampleur du défi, voici un tableau comparatif des réalisations de De Meo chez Renault et des attentes chez Kering :
Domaine | Renault (2020-2025) | Kering (dès 2025) |
---|---|---|
Redressement | Stabilisation post-crise Ghosn, rentabilité record | Relance de Gucci, réduction de la dette |
Innovation | Plan Renaulution, focus sur l’électrique | Nouvelles directions artistiques, diversification |
Marketing | Repositionnement de Renault et Alpine | Renforcement de l’identité des marques de luxe |
Ce tableau met en lumière la transversalité des compétences de De Meo, mais aussi les différences fondamentales entre les deux secteurs. Si l’automobile exige rigueur et efficacité, le luxe demande une sensibilité accrue à l’image et à la désirabilité.
Quel Impact pour le Luxe Français ?
L’arrivée de De Meo chez Kering pourrait marquer un tournant pour le luxe français, souvent dominé par des géants comme LVMH. En misant sur un outsider, Kering prend un risque calculé, mais potentiellement payant. Si De Meo parvient à relancer Gucci et à réduire la dette, il pourrait redonner au groupe une compétitivité face à ses rivaux. À l’inverse, un échec pourrait fragiliser davantage Kering dans un secteur où la réputation est tout.
Pour Renault, son départ soulève des questions sur l’avenir de l’industrie automobile française. Avec 15 % de parts détenues par l’État, Renault est un symbole national. Le successeur de De Meo devra poursuivre la vision de la Renaulution tout en affrontant la concurrence chinoise et les défis de l’électrification.
Les Prochains Pas
À partir du 15 septembre 2025, Luca De Meo prendra officiellement ses fonctions. Sa première mission sera de stabiliser Gucci, dont les ventes ont chuté de 14 % au premier trimestre 2025. Il devra également collaborer avec des directeurs artistiques comme Demna et renforcer la gouvernance avec des figures comme Francesca Bellettini. Les mois à venir seront décisifs pour juger de sa capacité à transformer Kering.
En conclusion, l’arrivée de Luca De Meo chez Kering est un pari audacieux, mêlant innovation, stratégie, et audace. Son succès dépendra de sa capacité à naviguer dans un secteur complexe tout en appliquant son expérience industrielle. Une chose est sûre : dans le luxe comme dans l’automobile, demain se fabrique aujourd’hui.