Meta pénalisé par l’UE pour son modèle « Payer ou Consentir »
Depuis l'automne dernier, les utilisateurs européens de Facebook et Instagram sont confrontés à un choix cornélien : consentir au tracking publicitaire de Meta ou payer un abonnement mensuel. Mais selon les conclusions préliminaires d'une enquête de la Commission européenne, ce modèle enfreint les nouvelles règles de concurrence du Digital Markets Act (DMA). Une décision qui pourrait coûter très cher au géant de la tech et sonner le glas de son business model fondé sur la surveillance de masse.
Meta dans le viseur de Bruxelles
Depuis le 7 mars, Meta et les autres "gatekeepers" numériques sont soumis au Digital Markets Act, le nouveau règlement européen visant à rétablir l'équité concurrentielle. Dans ce cadre, la Commission a ouvert le 25 mars une enquête formelle sur la mise en œuvre par Meta d'une offre "payer ou consentir". En cause : l'absence d'une "réelle alternative" pour les utilisateurs ne souhaitant pas être traqués à des fins publicitaires.
Avec le DMA, l'UE entend en effet rééquilibrer le rapport de force en ciblant les avantages dont jouissent les géants du numérique grâce à leur position dominante, notamment en matière de données. Dans le cas de Meta, sa mainmise sur les réseaux sociaux lui permet d'extraire toujours plus de données personnelles pour mieux profiler les internautes, au détriment de ses concurrents publicitaires. Pour casser cette dynamique, le DMA exige que les gatekeepers obtiennent le consentement des utilisateurs pour le tracking publicitaire.
Un choix qui n'en est pas un
Or, le choix binaire imposé par Meta ne constitue pas un consentement libre et éclairé selon Bruxelles. Les utilisateurs ne souhaitant pas être pistés devraient pouvoir accéder gratuitement à une version équivalente mais moins personnalisée des réseaux sociaux, par exemple avec de la publicité contextuelle ne nécessitant pas de traitement de données personnelles. Un abonnement payant ne saurait être considéré comme une alternative valable à un service normalement gratuit.
Pour assurer la conformité avec le DMA, les utilisateurs qui ne consentent pas devraient quand même avoir accès à un service équivalent utilisant moins de données personnelles, dans ce cas pour la personnalisation de la publicité.
– Commission Européenne
Des sanctions records en vue
En cas d'infraction avérée, Meta s'expose à des amendes pouvant atteindre 10% de son chiffre d'affaires mondial, soit plus de 11 milliards de dollars sur la base de ses résultats 2023. Et 20% en cas de récidive ! Au-delà de la sanction financière, c'est tout le business model publicitaire de Meta qui est menacé. Confronté à l'obligation de proposer un véritable choix, gratuit, aux utilisateurs, le groupe pourrait être contraint d'abandonner son modèle économique toxique fondé sur la surveillance à grande échelle.
Meta a maintenant l'opportunité de répondre aux griefs de la Commission, qui vise une décision finale d'ici mars 2025 au plus tard. Mais le compte à rebours est lancé pour l'empire publicitaire bâti par Mark Zuckerberg sur nos données personnelles. L'Europe est déterminée à reprendre le contrôle, quitte à ébranler les fondations de la Silicon Valley.
Les consommateurs applaudissent
Du côté des associations de défense des consommateurs, on se réjouit de ce coup de semonce. Le BEUC, qui fédère 46 organisations nationales en Europe, avait dénoncé dès octobre le chantage de Meta, y voyant également une violation du RGPD et des lois de protection des consommateurs.
C'est une bonne nouvelle que la Commission engage une action sur la base du Digital Markets Act contre le modèle "payer ou consentir" de Meta. Cela s'ajoute aux plaintes déposées par les organisations de consommateurs ces derniers mois. Nous exhortons maintenant Meta à se conformer aux lois visant à protéger les consommateurs.
– Agustin Reyna, Directeur Général du BEUC
La pression s'accentue donc sur le géant des réseaux sociaux, pris en étau entre les régulateurs et la société civile. Malgré ses dénégations, le statu quo n'est plus tenable pour Meta. Tôt ou tard, il devra se résoudre à lâcher sa proie : nos vies privées.
Vers une pub plus éthique ?
Au-delà de Meta, c'est tout l'écosystème publicitaire en ligne qui est bousculé par ce tournant réglementaire. Le ciblage publicitaire intrusif, nourri par un tracking permanent des individus, pourrait bientôt apparaître comme une anomalie de l'histoire du web. Place à des formats plus respectueux, comme la publicité contextuelle, qui ne nécessite pas d'espionner les internautes.
Un changement de paradigme qui ouvrira aussi la voie à davantage de transparence et d'innovation. De nouveaux acteurs pourront émerger avec des solutions publicitaires plus responsables et créatives. Les annonceurs, eux, devront revoir leurs pratiques et miser sur la qualité plus que la quantité de données.
Quant aux citoyens, ils pourront enfin reprendre la main sur leur vie numérique et faire des choix éclairés. Accepter la publicité ne signifiera plus renoncer à sa vie privée. Un juste équilibre semble possible entre le besoin de monétisation des plateformes et le droit des individus à l'autodétermination informationnelle.
L'Europe joue ici un rôle pionnier pour bâtir un avenir numérique plus humain et durable. Reste à voir si d'autres grandes puissances lui emboîteront le pas. Les décisions à venir dans le dossier Meta feront en tout cas jurisprudence et pourraient bien redistribuer les cartes de l'économie numérique mondiale. Affaire à suivre, de très près...