
Solvay Révolutionne les Terres Rares à La Rochelle
Et si l’avenir de la mobilité électrique se jouait sur les côtes atlantiques françaises ? À La Rochelle, une révolution discrète mais stratégique est en marche. Le géant belge de la chimie, Solvay, a décidé de redonner vie à un site industriel historique en se lançant dans la production de terres rares, ces éléments indispensables aux aimants des moteurs électriques. Face à une domination chinoise écrasante, cette initiative pourrait bien changer la donne.
Un Nouveau Souffle pour les Terres Rares
Le 8 avril 2025, une inauguration a marqué les esprits. Solvay a dévoilé une ligne de production inédite sur son site de La Rochelle, en Charente-Maritime. L’objectif ? Raffiner des terres rares comme le néodyme et le praséodyme, essentielles aux aimants permanents des véhicules électriques et des éoliennes offshore. Mais ne vous y trompez pas : ce n’est qu’un début, un test grandeur nature.
Pourquoi La Rochelle ? Un Héritage Unique
Ce choix ne doit rien au hasard. Le site, créé en 1948, est un pionnier dans le domaine des terres rares hors de Chine. Autrefois dédié au mischmétal pour les pierres à briquet, il a su évoluer avec le temps. Aujourd’hui, Solvay capitalise sur ce savoir-faire et des infrastructures existantes, modernisées pour l’occasion, réduisant ainsi les coûts d’un facteur trois par rapport à une usine neuve.
« La Rochelle, c’est le berceau des terres rares en dehors de la Chine, avec un savoir-faire inégalé. »
– Philippe Kehren, PDG de Solvay
Cette expertise permet de relever un défi technique majeur : séparer et purifier des éléments aux propriétés similaires, un processus complexe nécessitant des bains d’acide et des cascades de cuves. Le résultat ? Des matériaux d’une pureté exceptionnelle, prêts à intégrer la chaîne de la mobilité verte.
Un Projet Modeste… Pour l’Instant
Pour 2025, Solvay vise une production de quelques centaines de tonnes d’oxydes de néodyme et de praséodyme. Cela représente assez pour équiper plusieurs centaines de milliers de voitures électriques ou quelques centaines d’éoliennes marines. Une goutte d’eau face aux 92 % de la production mondiale contrôlée par la Chine, mais un signal fort.
« On commence petit, pour tester le marché et rassurer nos clients », explique Philippe Kehren. L’investissement initial se chiffre à quelques millions d’euros, une prudence assumée avant de voir plus grand. Car l’ambition est là : atteindre 4500 tonnes d’ici 2030, soit 5 % de la production mondiale actuelle, et couvrir 30 % des besoins européens.
Une Montée en Puissance Écologique
Le projet démarre avec le recyclage d’aimants usagés, en partenariat avec Cyclic Materials, une entreprise canadienne. Mais Solvay ne compte pas s’arrêter là. Bientôt, des matières vierges, extraites de mines hors de Chine, viendront enrichir la production. Cette flexibilité est un atout clé, tout comme la capacité à produire des terres rares lourdes, comme le dysprosium ou le terbium, plus rares et précieuses.
- Recyclage d’aimants usagés pour une économie circulaire.
- Traitement de minerais vierges issus de sources diversifiées.
- Production potentielle de terres rares lourdes pour des applications avancées.
Ce virage écologique s’inscrit dans une logique plus large. Alors que la demande de catalyseurs pour moteurs thermiques décline, les aimants permanents deviennent le fer de lance de l’électrification. Une transition que Solvay veut accompagner à son rythme.
Un Passé qui Inspire l’Avenir
À La Rochelle, Solvay produit déjà 5000 tonnes d’oxyde de cérium par an, utilisé dans la dépollution automobile et les semi-conducteurs. Cela représente 7 % de ses ventes en 2024. Mais ce projet d’aimants marque un tournant, après un échec cuisant dans le recyclage des lampes fluorescentes, abandonné en 2016 face à la montée des LED et à la concurrence chinoise.
Cette fois, Solvay mise sur une approche pragmatique. Pas de paris hasardeux, mais une stratégie progressive, conditionnée par la demande des clients – fabricants de moteurs ou de véhicules – et des soutiens publics pour combler un déficit de compétitivité estimé à 20 % face à la Chine.
Face à la Chine : Un Défi de Taille
La Chine domine le marché des terres rares, avec des capacités excédentaires et des prix bas. « Il y a assez de production là-bas, soyons honnêtes », admet Philippe Kehren. Pourtant, La Rochelle offre une alternative stratégique, portée par le *Critical Raw Material Act* européen, qui pousse à réduire la dépendance à un seul fournisseur à moins de 65 %.
« Nous avons la technologie. Si le marché suit, nous irons plus loin. »
– Philippe Kehren, PDG de Solvay
Le timing est crucial. Avec les tensions commerciales sino-américaines et les restrictions chinoises sur les terres rares lourdes annoncées début avril 2025, l’Europe cherche à sécuriser ses approvisionnements. Solvay pourrait devenir un acteur clé de cette souveraineté industrielle.
Vers une Filière Européenne ?
Produire des terres rares, c’est bien. Mais créer une filière complète, des mines aux aimants, c’est mieux. An Nuyttens, présidente de l’unité silice et produits chimiques de Solvay, insiste : « Il faut toute une chaîne en Europe. » Pour l’instant, le projet reste un test, mais il pourrait inspirer d’autres initiatives, comme celle de Carester à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Les enjeux sont multiples : réduire l’empreinte carbone, diversifier les sources, et répondre à une demande croissante. En 2030, les véhicules électriques pourraient représenter 30 % du parc automobile européen, selon les prévisions. Solvay veut être prêt.
Les Défis à Relever
Malgré son potentiel, le projet fait face à des obstacles. Les prix bas des terres rares, dictés par la Chine, rendent l’opération risquée. Solvay compte sur des engagements fermes de ses clients et des subventions pour rester compétitif. Sans cela, l’ambition de 100 millions d’euros d’investissement pourrait rester lettre morte.
Autre défi : le recyclage. Si le partenariat avec Cyclic Materials est prometteur, le volume d’aimants usagés reste limité. Passer à des minerais vierges implique de sécuriser des approvisionnements hors Chine, une tâche ardue dans un marché mondialisé.
Un Test pour la Souveraineté Industrielle
Ce projet n’est pas qu’une affaire de chimie. Il incarne une volonté de reprendre le contrôle sur des ressources critiques. Avec les appels à la relocalisation qui se multiplient, La Rochelle pourrait devenir un symbole. Mais pour réussir, il faudra aligner innovation, volonté politique et dynamisme industriel.
Le pari est audacieux. Si Solvay parvient à transformer l’essai, ce ne sera pas seulement une victoire pour l’entreprise, mais un pas vers une Europe moins dépendante, plus verte, et résolument tournée vers l’avenir.