Trump Renonce à Combattre les Lois IA des États
Imaginez : vous êtes à la tête de la première puissance mondiale et vous décidez, en quelques tweets, de redessiner complètement la régulation de l’intelligence artificielle. C’est exactement ce qu’a tenté Donald Trump ces dernières semaines… avant de faire marche arrière de façon aussi spectaculaire qu’inattendue.
Un revirement qui nobody n’avait vu venir
Il y a encore quelques jours, tout le secteur tech retenait son souffle. L’administration Trump préparait un ordre exécutif explosif : création d’une AI Litigation Task Force chargée d’attaquer systématiquement en justice chaque loi IA votée par un État, couplée à la menace de couper les subventions fédérales pour le haut débit aux États récalcitrants.
Le message était clair : une seule règle fédérale, ou rien. Finie la « mosaïque » de 50 régimes différents. Et tant pis si cela signifiait passer outre le principe même du fédéralisme américain.
Puis, brusquement, silence radio. Reuters révèle que l’ordre exécutif a été mis en pause sine die. Game over… ou presque.
Retour sur une saga express
Tout avait pourtant très bien commencé pour les partisans d’une régulation fédérale unique.
Étape 1 : le « Big Beautiful Bill » (le grand projet de loi budgétaire) contenait initialement une clause interdisant aux États de légiférer sur l’IA pendant dix ans. Clause supprimée par le Sénat à 99 voix contre 1. Humiliation.
Étape 2 : Trump passe à la vitesse supérieure et annonce publiquement vouloir « un seul standard fédéral » pour éviter le « patchwork ». Le ton monte.
Étape 3 : des fuites font état d’un projet d’ordre exécutif ultra-agressif. On parle même de retirer les fonds fédéraux pour le broadband aux États qui oseraient maintenir leurs lois (coucou la Californie et son SB 1047).
Étape 4 : … plus rien. Le texte est rangé dans un tiroir. Fin de l’histoire ? Pas tout à fait.
Pourquoi ce brutal stop ?
Plusieurs facteurs ont visiblement joué.
- Une opposition républicaine inattendue. Plusieurs sénateurs GOP, pourtant alignés sur Trump, ont publiquement, ont fait savoir en privé que s’attaquer au droit des États relevait du suicide politique.
- La réalité juridique : un tel ordre exécutif aurait été immédiatement attaqué devant les tribunaux… et probablement annulé pour excès de pouvoir présidentiel.
- La pression de certains acteurs de la Silicon Valley eux-mêmes. Si Elon Musk et Andreessen Horowitz applaudissaient bruyamment, d’autres géants (notamment ceux qui ont des centres de données dans plusieurs États) préféraient éviter une guerre ouverte.
- Enfin, le calendrier : avec les fêtes et la fin d’année, mieux valait éviter un psychodrame juridique juste avant Noël.
« On a sous-estimé la résistance interne, même chez les républicains. Personne n’a envie de se retrouver avec une décision de la Cour suprême qui limiterait durablement le pouvoir exécutif sur ce sujet. »
– Un conseiller proche du dossier, sous couvert d’anonymat
La Californie respire, Anthropic aussi
Le grand gagnant du jour ? Sans conteste la Californie et ses lois controversées.
Le SB 1047, porté par le sénateur Scott Wiener, oblige les très gros modèles d’IA à mettre en place des mécanismes de « kill switch » et à publier des rapports de sécurité. Il avait été violemment critiqué par une partie de la Valley (notamment Andreessen Horowitz et même certains cadres d’OpenAI à l’époque).
Aujourd’hui, ce texte reste pleinement en vigueur. Anthropic, qui avait publiquement soutenu la loi, sort renforcé : l’entreprise de Dario Amodei apparaît désormais comme celle qui avait vu juste en misant sur une régulation raisonnée plutôt que sur le chaos juridique.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
Le dossier est loin d’être clos. Voici les hypothèses qui circulent dans les couloirs de Washington et de Palo Alto.
- Le compromis fédéral light
Un projet de loi bipartisan au Congrès en 2026, avec des standards minimaux nationaux mais laissant une marge de manœuvre aux États sur certains points (transparence, biais, deepfakes locaux…). - La guerre froide réglementaire
Les États bleus (Californie, New York, Illinois) continuent d’avancer leurs propres lois, les États rouges les ignorent ou les copient en version ultra-light. On aboutit à deux Amériques de l’IA. - Le statu quo gagnant
Finalement, tout le monde se rend compte que la menace d’une task force fédérale était surtout un coup de bluff. Les lois étatiques se multiplient tranquillement, les entreprises s’adaptent, et la vie continue.
Le scénario 3 est, pour l’instant, le plus probable.
Ce que ça change pour les startups françaises
Vous vous demandez pourquoi un bras de fer américain devrait vous concerner ? Tout simplement parce que les lois californiennes ont une fâcheuse tendance à faire école.
Le RGPD est né en Europe, mais c’est le CCPA californien qui a forcé Facebook et Google à changer leurs pratiques mondiales. Idem pour la privacy des mineurs ou la transparence algorithmique.
Si la Californie conserve son droit de légiférer sur l’IA, attendez-vous à voir arriver très vite des obligations de rapport de sécurité, d’audit tiers ou de bouton d’arrêt d’urgence… et ces exigences finiront par s’exporter, comme toujours.
Autrement dit : mieux vaut commencer à s’y préparer dès maintenant.
Conclusion : la régulation par le chaos ?
Ce qui est fascinant dans cette séquence, c’est qu’elle révèle à quel point l’administration Trump reste imprévisible, même sur ses sujets de prédilection.
On passe en quelques semaines d’une volonté de centralisation absolue à un retour au fédéralisme classique, sans que personne ne sache vraiment qui a gagné ou perdu.
Une chose est sûre : l’intelligence artificielle continuera d’être régulée aux États-Unis… mais probablement de façon plus désordonnée, plus locale et, paradoxalement, plus innovante que si tout avait été décidé depuis Washington.
Et ça, au fond, ce n’est peut-être pas une si mauvaise nouvelle.