
Un Détenu Devient Ingénieur Logiciel
Imaginez un instant : un homme tape du code sur un ordinateur, développe des logiciels pour une startup de San Francisco, et pourtant, il n’a jamais mis les pieds dans leurs bureaux. Pourquoi ? Parce qu’il est incarcéré, purgeant sa onzième année derrière les barreaux. Cette histoire, celle de Preston Thorpe, n’est pas seulement celle d’une reconversion improbable, mais aussi celle d’un système pénitentiaire qui ose repenser la réhabilitation. Comment un détenu peut-il devenir un ingénieur logiciel respecté, travaillant à distance pour une entreprise financée par des capitaux à risque ? Plongeons dans ce récit qui redéfinit les possibles.
Quand la Prison Ouvre des Portes
Dans un monde où la prison est souvent synonyme de fin, l’histoire de Preston Thorpe démontre qu’elle peut aussi être un tremplin. À 31 ans, ce détenu du Maine a rejoint Turso, une startup spécialisée dans les bases de données, en tant qu’ingénieur logiciel. Comment ? Grâce à un programme expérimental unique en son genre, qui permet aux détenus de travailler à distance depuis leur cellule. Ce modèle, initié dans l’État du Maine, repousse les limites de la réhabilitation en offrant des opportunités professionnelles concrètes.
Thorpe n’est pas un cas isolé, mais il incarne une révolution silencieuse. Son parcours, marqué par des erreurs de jeunesse et des années de désespoir, s’est transformé grâce à une seconde chance. Ce programme ne se contente pas de donner un emploi : il redonne du sens, une identité, et surtout, un avenir.
Un Parcours semé d’Embûches
Pour comprendre l’ampleur de cette transformation, il faut remonter aux origines de Preston Thorpe. Adolescent, il est chassé de chez lui et se tourne vers la vente de drogues, achetées sur le dark web. À 20 ans, il se retrouve derrière les barreaux. Libéré une première fois, il replonge rapidement, faute de ressources ou de soutien. « J’avais abandonné tout espoir, » confie-t-il lors d’un appel vidéo depuis sa cellule. Sa vie semblait condamnée à un cycle sans fin d’incarcération.
J’avais abandonné tout espoir. J’avais accepté que ma vie serait ainsi, sans avenir.
– Preston Thorpe, ingénieur logiciel incarcéré
Mais tout change lorsqu’il est transféré à la Mountain View Correctional Facility dans le Maine, juste avant la pandémie de COVID-19. Là, il trouve un environnement différent, moins oppressant, où il peut enfin se poser. « J’ai eu une sorte d’épiphanie, » explique-t-il. « J’ai réalisé que ma vie n’était peut-être pas finie. »
L’Éducation comme Tremplin
Le programme du Maine ne se limite pas à offrir des emplois. Il mise aussi sur l’éducation. Thorpe s’inscrit à distance à l’Université du Maine à Augusta, où il découvre la programmation. Pendant trois ans, il consacre ses journées à apprendre, absorbant tout ce qu’il peut sur les bases de données et les logiciels open source. Cette discipline lui permet de se réinventer, passant du statut de criminel à celui de contributeur actif dans la communauté technologique.
Son talent ne passe pas inaperçu. En contribuant à un projet open source de Turso, il attire l’attention du PDG, Glauber Costa. Impressionné par la qualité de son travail, Costa lui propose un emploi, sans savoir initialement que Thorpe est incarcéré. « J’ai vérifié son profil GitHub, et il mentionnait son incarcération, » raconte Costa. « C’est une histoire unique, mais son talent parlait de lui-même. »
Connaître son histoire a renforcé notre respect pour lui. Sa transformation est remarquable.
– Glauber Costa, PDG de Turso
Un Modèle de Réhabilitation Innovant
Le programme du Maine, soutenu par le commissaire Randall Liberty, est une réponse audacieuse aux lacunes du système pénitentiaire américain. Avec un taux de récidive national avoisinant les 60 %, le Maine se distingue avec un taux de 21 à 23 % pour les hommes, et seulement 9 % pour les femmes. Mieux encore, les détenus ayant suivi des cours universitaires affichent un taux de récidive de seulement 0,05 %. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : l’éducation et l’emploi transforment des vies.
Liberty, fort de 43 ans d’expérience dans les forces de l’ordre, a repensé son approche après un passage en Irak. « J’ai vu les effets du traumatisme, » explique-t-il. « Enfermer les gens sans leur offrir d’issue ne fait qu’aggraver les choses. » Sous sa direction, les prisons du Maine ont mis en place des programmes axés sur l’éducation, le traitement des addictions et l’emploi, réduisant ainsi la violence carcérale et la récidive.
Dans l’unité Earned Living Unit, où réside Thorpe, une trentaine de détenus travaillent à distance. Ils reversent 10 % de leur salaire à l’État, en plus des éventuelles obligations légales comme les pensions alimentaires. Ce modèle, soutenu par des organisations comme Unlocked Labs, montre que la réhabilitation peut être économiquement viable tout en étant bénéfique pour la société.
L’Impact de la Technologie
La technologie joue un rôle clé dans cette transformation. Grâce à l’infrastructure mise en place pendant la pandémie, les détenus ont accès à des ordinateurs et à Internet, sous supervision. Cela leur permet de suivre des cours, de collaborer sur des projets open source et même de travailler pour des entreprises comme Turso. Pour Thorpe, la communauté open source a été une révélation : là où son passé criminel le définissait en prison, son code parlait pour lui en ligne.
« Dans la communauté open source, on ne voit pas votre visage, » explique-t-il. « On juge votre travail. Pour la première fois en dix ans, j’ai pu être moi-même, un ingénieur passionné par Linux et les bases de données. » Ce sentiment d’appartenance a redonné à Thorpe une raison de se lever chaque matin.
Les Bénéfices pour la Société
Ce programme ne profite pas seulement aux détenus. En réduisant la récidive, il allège le fardeau financier des contribuables. Aux États-Unis, le coût moyen d’incarcération d’une personne est d’environ 40 000 dollars par an. En comparaison, investir dans l’éducation et l’emploi des détenus est non seulement plus humain, mais aussi plus économique. De plus, les victimes et les communautés bénéficient d’une société plus sûre, avec moins de récidives.
Liberty insiste sur ce point : « Si vous voulez des communautés plus sûres, il faut donner aux gens les outils pour changer. » Les données le confirment : les prisons du Maine, sous sa direction, ont vu une baisse spectaculaire des violences. En 2024, une prison de haute sécurité n’a recensé que sept agressions contre le personnel, contre 87 en 2017.
Traitez les gens comme des êtres humains, et ils deviennent la meilleure version d’eux-mêmes.
– Haley Shoaf, co-directrice d’Unlocked Labs
Un Modèle à Étendre ?
Le succès du Maine soulève une question : ce modèle peut-il être reproduit ailleurs ? D’autres États, comme la Californie ou le Texas, commencent à explorer des programmes similaires, mais ils se heurtent à des obstacles : manque de financement, résistance politique ou absence d’infrastructure technologique. Pourtant, les résultats du Maine sont difficiles à ignorer. En combinant éducation, emploi et technologie, ce programme prouve que la réhabilitation est possible, même pour ceux qui semblaient perdus.
Pour Thorpe, l’avenir est clair : il veut continuer à coder, à apprendre et à contribuer. « Il y a cinq ans, je ne reconnaîtrais pas l’homme que je suis aujourd’hui, » dit-il. Son histoire est un rappel que, même dans les endroits les plus sombres, une lueur d’espoir peut changer une vie.
Les Clés du Succès
Qu’est-ce qui rend ce programme si efficace ? Voici les principaux facteurs :
- Accès à l’éducation : Les cours universitaires à distance permettent aux détenus d’acquérir des compétences recherchées.
- Opportunités professionnelles : Les emplois à distance offrent un revenu et un sentiment de dignité.
- Soutien institutionnel : Une direction pénitentiaire visionnaire, comme celle de Randall Liberty, est essentielle.
- Technologie : L’accès à Internet et aux outils numériques ouvre des portes autrefois fermées.
Ces éléments, combinés, créent un cercle vertueux : les détenus retrouvent un but, les prisons deviennent plus sûres, et la société y gagne en sécurité et en économie.
Vers un Avenir Plus Humain
L’histoire de Preston Thorpe et du programme du Maine est plus qu’une anecdote inspirante. Elle met en lumière une vérité fondamentale : la réhabilitation fonctionne lorsque l’on donne aux individus les moyens de se réinventer. En investissant dans l’éducation et l’emploi, les prisons peuvent cesser d’être des entrepôts humains pour devenir des lieux de transformation.
Alors que Thorpe continue de coder depuis sa cellule, son histoire résonne comme un appel à repenser la justice. Et si chaque détenu avait une chance de se réinventer ? Et si chaque prison devenait un lieu d’espoir plutôt que de désespoir ? Le Maine montre la voie, et le monde regarde.