IA Shopping : Les Géants vs Startups Spécialisées
Imaginez-vous le soir du Black Friday, affalé dans votre canapé, en train de demander à votre téléphone : « Trouve-moi une robe de soirée rouge, pas trop chère, qui ressemble à celle que portait Zendaya aux Oscars, mais en taille 40 et livrable avant samedi. » Il y a deux ans, c’était de la science-fiction. Aujourd’hui, c’est la nouvelle bataille qui fait trembler le e-commerce mondial.
Cette semaine, OpenAI et Perplexity ont dégainé presque simultanément leurs assistants shopping intégrés. L’un vous laisse payer directement via Shopify dans la conversation, l’autre se souvient que vous êtes graphiste à Lisbonne et que vous détestez les manches ballon. Sur le papier, c’est la fin du game pour toutes les petites startups qui tentaient de réinventer l’expérience d’achat avec l’IA. Pourtant, quand on appelle leurs fondateurs, on entend… des rires.
Pourquoi les startups spécialisées ne tremblent pas
La réponse tient en trois lettres : data. Pas n’importe laquelle. Des données propres, structurées, riches et surtout verticales. Là où ChatGPT et Perplexity pompent leurs réponses dans les index de Google ou Bing (donc les mêmes résultats que tout le monde), les startups niche construisent leurs propres bases de connaissances, parfois à la main.
Zach Hudson, CEO d’Onton – une pépite qui aide à décorer son intérieur avec de l’IA – l’explique sans détour :
« N’importe quel modèle n’est aussi bon que les données qui l’alimentent. Aujourd’hui, les grands LLM se contentent de reformuler les premiers résultats de Google. Nous, on a passé deux ans à nettoyer, catégoriser et enrichir des centaines de milliers de produits de décoration. Le résultat ? Notre IA sait faire la différence entre un canapé “mid-century” et un canapé “scandinave contemporain”. ChatGPT, lui, vous sortira les deux en mélangeant tout. »
– Zach Hudson, CEO d’Onton
La mode, terrain miné des IA généralistes
Julie Bornstein n’est pas n’importe qui. Elle a dirigé le e-commerce de Sephora, puis de Stitch Fix, avant de lancer Daydream. Pour elle, la mode est le domaine où les grands modèles se cassent le plus les dents.
« Trouver une robe qu’on adore, ce n’est pas comme acheter un téléviseur. C’est émotionnel, nuancé, hyper personnel. Il faut comprendre les silhouettes, les occasions, comment les gens construisent une garde-robe au fil des saisons. Ça demande des années de données spécifiques et une logique de merchandising que les modèles généralistes n’ont tout simplement pas. »
– Julie Bornstein, fondatrice de Daydream
En clair : vous pouvez demander à ChatGPT « une robe comme celle de Zendaya », il va scraper Google Images et vous sortir des liens Amazon. Demandez la même chose à une IA entraînée sur des millions de tenues réelles, des essayages virtuels et des retours clients, et vous aurez trois propositions parfaites, dans votre budget, avec le bon tombé de tissu.
Les armes secrètes des petites pousses
Voici, en vrac, ce que les startups spécialisées ont dans leur manche que les géants n’ont pas (encore) :
- Des datasets propres construits maison, parfois produit par produit
- Une compréhension fine des micro-tendances de leur niche (ex : le retour du velours côtelé fin chez les 25-35 ans)
- Des algorithmes de recommandation qui tiennent compte de l’historique complet d’achat, du style Pinterest et même du climat local
- Une relation de confiance : l’utilisateur sait que l’IA est 100 % focalisée sur la mode ou le design d’intérieur, pas sur tout et n’importe quoi
- Moins de hallucinations : quand vous demandez si une table en marbre travertin résiste aux taches de vin rouge, la réponse est vérifiée sur des données réelles, pas inventée
Les avantages (réels) des géants
Soyons honnêtes : OpenAI et Perplexity ont des arguments massue. Des centaines de millions d’utilisateurs déjà dans leur interface. Des accords avec Shopify, PayPal, etc. La possibilité de faire l’achat sans quitter la conversation. Et surtout, une puissance de calcul qui permet de lancer des campagnes marketing à 360°.
Leur modèle économique est clair : transformer la recherche conversationnelle en machine à publicité, comme Google avant eux. Un retailer paiera cher pour apparaître en premier quand vous demandez « meilleur laptop gamer sous 1000 € ».
Mais c’est précisément là que le bât blesse. Plus les géants monétisent, plus les résultats risquent de ressembler à l’enfer actuel des SERP : des liens sponsorisés partout, des réponses biaisées, une perte de confiance.
Le futur : cohabitation ou guerre totale ?
La majorité des experts misent sur une cohabitation intelligente. Les grands modèles vont capturer les requêtes génériques (« idée cadeau pour ma mère ») et les niches ultra-spécialisées garderont leurs utilisateurs fidèles grâce à la qualité irréprochable de leurs recommandations.
Adobe prévoit une explosion de 520 % des achats assistés par IA cette saison des fêtes. Le gâteau est immense. Il y a de la place pour tout le monde… à condition de jouer sur ses forces.
Et demain ? Les meilleurs scénarios voient les startups verticales se faire racheter (à prix d’or) par les géants pour intégrer leurs datasets experts. Ou alors elles restent indépendantes et deviennent les « Sommeliers de l’IA » : on ira chez Onton pour décorer son salon comme on va chez un caviste pour choisir un grand cru.
Ce que ça change pour vous, consommateur
Concrètement, vous allez avoir le choix :
- Besoin rapide d’un câble USB-C ? ChatGPT ou Perplexity feront l’affaire en 10 secondes.
- Vous cherchez LE manteau parfait qui va avec vos 15 paires de bottes, votre morpho en A et votre aversion pour la laine qui gratte ? Direction une IA spécialisée.
Le shopping du futur ne sera pas monopolisé par un seul acteur. Il sera hybride. Un peu comme aujourd’hui entre Amazon (rapide, pas cher) et les boutiques indépendantes (conseil, qualité, émotion).
Et franchement ? C’est plutôt une bonne nouvelle.
Alors la prochaine fois que vous verrez une pub alarmiste « L’IA va tuer toutes les startups e-commerce », souriez. Les meilleurs sont en train de construire, dans l’ombre, les assistants qui vous feront dire : « Enfin une IA qui me comprend vraiment. »
Le match ne fait que commencer.